Il y a de quoi être fébrile à droite... et désorienté à gauche. C'est la démocratie qui est malade
Belles pépées, messieurs sapés, gens bien lavés qui semblent heureux de vivre, le spectacle de Cannes arrive à point pour distraire l'?il d'un certain trop-plein de ministres. On a pu voir, sur Canal+, la rétrospective savoureuse de quelques années de Festival, réalisée par Gilles Jacob. Zap et on tombait sur un chef-d'œuvre de Billy Wilder, «Sunset Boulevard», vieux de plus de cinquante ans. Délectable. Mais l'image de la semaine, ce fut la volée du pied gauche avec laquelle notre précieux Zidane a mis un but pour le Real Madrid. Ce n'était pas beau, c'était sublime, comme toujours l'excellence. Du côté politique, c'est l'agitation d'une équipe à la parade pour se vendre avant le 9 juin qui est en vitrine. Quelquefois, ça fait couac, ainsi le beau François Fillon, jeune premier du gouvernement, qui s'en va annoncer aux hospitaliers que les 35 heures, c'est fini. Il croit être applaudi. Hurlements. Ils les veulent, les 35 heures, comme tout le monde, mais avec un personnel suffisant pour pouvoir les appliquer. Aïe? Après avoir coûté cher à Jospin à tous égards, c'est à Chirac que ces sacrées 35 heures vont coûter cher maintenant. Le ministre de la Santé, lui, Jean-François Mattéi, inspire plutôt confiance, outre qu'il a la tutelle de l'Assurance Maladie qui a tant manqué à son prédécesseur. Il annonce donc aux généralistes en colère que le tarif de 20 euros par consultation promis par Chirac est agréé. Enfin, il va l'être. Enfin, c'est tout comme, même si ça n'y est pas. Qu'est-ce qui accroche? Une broutille. Son prix : 250 millions d'euros. Et une vague de réclamations émanant de tout ce que la France compte de médecins spécialistes, chirurgiens, etc., qui se prépare à déferler derrière. A partir d'un certain montant, les chiffres ne disent plus rien. Mais quand le ministre a appris que, s'il devient permanent, il sera promis à un déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale évalué à 4,6milliards d'euros, en 2002, il est tout de même resté songeur. Nicolas Sarkozy, lui, au charbon à toute heure, lance une innovation : les armes des policiers de proximité seront désormais équipées de flash-balls ? de balles en caoutchouc. Tirée à distance convenable, chaque balle s'écrase sur la surface qu'elle atteint. Il faut éviter de tirer dans la tête. Sale temps pour la gauche humanitaire. Faut-il s'insurger tout de suite ou laisser passer les élections? ou attendre qu'une tête éclate? Cette débauche d'activité pour nous montrer avec quel dévouement on s'occupe de nous, pauvres abandonnés pendant cinq ans par de dédaigneux bergers, est bien un peu risible. Les petits bras de M. Raffarin grands ouverts aux syndicalistes sous l'?il attendri du baron Seillière, c'était une scène de Labiche. Mais il faut comprendre la droite. Depuis 1981, elle a tout raté quand Le Pen, avec la complicité objective de Chevènement, fait à Chirac un cadeau surprise. En se bouchant le nez, la gauche vote pour lui le 5 mai. En se bouchant le nez, il prend ces 10 millions de voix qui vont l'incruster à l'Elysée. C'est la joie. On se partage les ministères, on peaufine le parti unique sous l'?il gourmand d'Alain Juppé, les grandes espérances sont revenues? sauf qu'il faut arracher une majorité parlementaire. Sinon, sinon tout est foutu. Reconnaissons qu'il y a de quoi être fébrile à droite, et désorienté à gauche : faut-il souhaiter un succès électoral ou une cure d'opposition? Ça se discute. Mais la vraie question est plus grave. La démocratie est malade, nous dit Dominique Schnapper, sociologue. Malade de ne plus compter que des individus qui ne se sentent dépassés par aucune transcendance, à qui les notions de bien public, de bien commun qui furent si fortes sont étrangères (mais cette transcendance n'a-t-elle pas percé fugitivement le 5 mai?). Qui formule le bien général aujourd'hui? On ne sait pas. La société est une juxtaposition d'intérêts particuliers, de demandes individuelles, d'égoïsmes que l'Etat est sommé de satisfaire. A qui la faute? Effet pervers du principe d'égalité, selon Dominique Schnapper, qui donne son diagnostic dans «la Démocratie providentielle» (LCI). C'est l'un des bons ouvrages nourrissant en ce moment la réflexion de ceux qui, au-delà des péripéties électorales, voudraient comprendre ce qui arrive à leur vieux pays. F. G. P.S. ? Deux lignes sautées ont détourné le sens d'une phrase la semaine dernière. Ce ne sont pas les communistes français qui ont bénéficié du témoignage des rescapés ukrainiens, évidemment, mais Victor Kravchenko lors de son procès.
Jeudi, mai 23, 2002
Le Nouvel Observateur