Chapeau : Les Arabes le détestent. Et Sharon a réussi le tour de force de faire d'Arafat un héros
Images insupportables, celles du confinement d'Arafat, de la condition qui lui a été faite, des soldats israéliens fouillant et menottant les Palestiniens. Certes, les horreurs de la guerre ne sont pas unilatérales et les derniers carnages de Jérusalem, de Haïfa sont odieux. Or les télévisions ne montrent jamais les victimes israéliennes. Non que ce soit un parti pris, mais les juifs n'exhibent pas leurs morts, ils les enterrent discrètement. Alors la capacité compulsionnelle du public est sollicitée à sens unique par l'image. Mais peu importe. Le sort imposé à Arafat le mue en un personnage fabuleux, l'incarnation de la résistance héroïque du faible en face du fort. Quel sens a donc la stratégie de Sharon qui revient à faire de son pire ennemi la plus populaire des vedettes mondiales? Quel est son objectif maintenant? C'est la guerre, a-t-il dit dimanche à son peuple, qui entend ce langage parce qu'il a gagné beaucoup de guerres en d'autres temps. Mais celle-là, Israël la perdra. Il ne faut pas être extralucide pour voir qu'il ne gagnera pas plus la guerre contre le terrorisme palestinien que les Palestiniens ne gagneront la guerre contre Israël. Et on reste atterré, selon le mot bien choisi de Jacques Chirac, atterré. Est-il pensable que cette escalade de la folie débouche sur une guerre totale, une guerre entre un Etat juif qui compte moins de 10 millions d'habitants et un monde musulman qui en compte 1 milliard? Il serait étrange qu'elle se déclenche à cause des Palestiniens, que les Arabes détestent. Nous n'en sommes pas encore là. Mais dans le livre que publie ces jours-ci un pacifiste israélien quelque peu rêveur, sa femme demande : «Dis-moi, quand est-ce que les Allemands sont partis?» Elle désigne les Allemands qui ont su s'en aller à temps lorsque les nazis sont arrivés. Des juifs commencent à quitter Israël. Ils sont peu nombreux. Est-ce sous le coup de l'émotion, de la peur? Le massacre de Nanterre avait de quoi secouer mais les insanités ont jailli de quelques bouches, tels des lézards, comme si la coïncidence entre ce fait divers épouvantable, une violence omniprésente et la proximité de l'élection présidentielle faisait perdre le sens commun. Combien de drames comparables ont-ils été enregistrés depuis cinq ans en France? Sauf erreur, pour la dernière fois en octobre 2001, à Tours, où un employé de la SNCF tue quatre personnes et en blesse sept dans la rue. Dix ans plus tôt, un agriculteur du Doubs tue sa mère, sa sœur, blesse son père puis tire au hasard dans le village. Ces précisions auraient peut-être été de nature à relativiser les angoisses si les médias les avaient diffusées. Mais ils ont choisi de montrer plutôt, encore et encore, ce journaliste accroupi devant la porte fermée de la mère du meurtrier et lui arrachant de pauvres phrases à travers la fente servant au courrier. Une scène obscène. Test géant sur M6 destiné à nous renseigner sur notre quotient intellectuel, QI, audacieusement baptisé intelligence. Ce que l'on peut mesurer, ce sont des aptitudes. Quand on les accumule, on vous donne un brevet d'intelligence. Ce qui n'empêchera personne de faire, dans l'heure, la bêtise de sa vie. L'intelligence est indéfinissable. Mais enfin, c'était divertissant de se mettre à l'épreuve. Il y a un côté «dictée de Pivot» dans cette affaire dont il faut créditer M6. Pivot, le voilà justement, joliment bien récupéré avec «Double-Je». C'est assez paradoxal que le Français le plus emblématique de son pays soit le premier qui sache nous rendre heureux avec une émission sur des étrangers qui nous sont attachés par la langue. Cette fois, c'était Fellag, le clown tragique, kabyle, exilé, très populaire à Clermont-Ferrand par exemple, où la salle est pliée en deux en l'écoutant. C'était une belle jeune fille saoudienne qui fait à Paris un mémoire sur la «Lolita» de Nabokov. Ahurissante. C'était Renzo Piano, l'architecte italien de Beaubourg, devenu célèbre dans le monde entier avec les tours qu'il plante partout. Il raconte drôlement que, lorsque son projet a été choisi pour Beaubourg, il ne parlait pas un mot de français. Alors, en vue de la conférence de presse, il a appris un texte par cœur. Mais les injures ont fusé: «Rentrez chez vous, on n'a pas besoin de métèques, dehors!» N'y comprenant rien, il a continué à débiter son texte la gueule enfarinée. C'était un plaisir de l'entendre parler de son métier, l'un des plus beaux, celui où l'on veut changer la peau du monde. (France 2.) F. G.
Jeudi, avril 4, 2002
Le Nouvel Observateur