Fait écho aux propos de Maria-Antonietta Macciocchi Les femmes et leurs maîtres, qui fait état de la faillite du féminisme, quelques années après la naissance du MLF. Y étudie notamment les relations des femmes avec les régimes fascistes.
Ce n'est pas une analyse. C'est une exécution : celle du féminisme historique, institutionnalisé, dogmatisé, exténué. Sur son cou flétri, l'introduction de Maria-Antonietta Macciocchi au livre intitulé les Femmes et leurs maîtres tombe comme une lame.
Ces pages féroces mériteraient à elles seules la lecture de l'ouvrage où sont réunis une vingtaine de textes, ceux qui constituent l'essentiel du séminaire « Fascismes/subor- dination/luttes des femmes », conduit à Vincennes par M.-A. Macciocchi.
Faillite du concept de « sororité », désagrégation de la nouvelle socialité féminine, incapacité à émettre une théorie de la société, du sexe et du pouvoir, infantilisation des mouvements féminins... Le grand enivrement est terminé, constate M.-A. Macciocchi.
La féministe de choc rentre chez elle. Elle s'assied, pose drapeau et banderoles, repense avec angoisse à ses petites affaires.
Et l'auteur s'interroge : « Quand, mais quand donc les femmes trouveront-elles l'ennemi même en elles-mêmes, dans leur isme de féminisme, tout autant en convulsions que les ismes des marxisme, capitalisme, idéalisme, rationalisme, obscurantisme, rétroromantisme, etc. ? »
Car il va de soi qu'à ses yeux il ne s'agit pas de baisser les bras.
Elle a raconté l'année dernière, avec verve, la séance où elle fut exclue du parti communiste italien et, en parallèle, sa soutenance de thèse à Paris (1). De quoi se faire encore quelques amis.
N'importe. En déclarant que « nous naviguons déjà dans l'estuaire du post-féminisme, les voiles flasques », que la restauration est amorcée, le féminisme devenu rite, secte à l'intérieur du pouvoir, l'ancien député de Naples va son chemin, intrépide comme à l'accoutumée.
FRANÇOISE GIROUD.
(Lire la suite page 2.)
Les voiles flasques
(Suite de la première page.)
Le vigoureux « aggiornamento » par quoi s'ouvre les Femmes et leurs maîtres s'inscrit dans le droit fil du combat qu'elle décrit ainsi : « C'est bien en parlant (aux femmes) ce dur langage de la conscience et de l'autonomie à conquérir, c'est en les réinsérant comme protagonistes responsables aussi, jamais innocentes en tout cas, dans cette vieille et nouvelle traversée du fascisme, que je parle, de l'intérieur de l'univers féminin. Femme comme les autres, mais venant de loin cependant, du plus profond d'une lutte politique souvent redoutable, souvent solitaire, même au cœur du mouvement communiste, même au cœur du mouvement féminin d'émancipation (...). Il ne s'agit pas seulement de « reprendre possession de son corps », selon le slogan féministe, mais de son cerveau. »
Les autres textes du recueil qu'elle introduit, clôt et truffe, étudient, sous des signatures diverses, la relation femmes/régimes fascistes ou rendent compte de la situation actuelle en Allemagne fédérale, en Belgique, à Porto-Rico. Même lorsque s'y mêle la « langue de bois » du féminisme marxisant, ils apportent une analyse souvent pénétrante des conduites féminines, et constituent une source exceptionnelle d'informations.
Ainsi de l'étude documentée de Jean-Michel Palmier sur l'Allemagne nationale - socialiste, étude qui va très au-delà des habituelles considérations sur l'idéologie des trois K : Kinder, Kirche, Kûche.
« Proxénétisme d'Etat »
On connaît la formule de Hitler selon laquelle « en politique, il faut avoir l'appui des femmes parce que les hommes, eux, suivent spontanément ». L'intéressant est de voir par quelles méthodes il en fit des reproductrices professionnelles — du moins lorsqu'elles n'étaient pas indispensables dans les usines — et comment l'obsession d'une natalité frénétique fit disparaître de la morale sexuelle les tabous fondamentaux de la morale traditionnelle.
On retrouve la sublimation du rôle de la Mère dans l'Italie de Mussolini, qui pratiquera au plus haut point le « proxénétisme d'Etat ».
Moins connue, parce que le parti rexiste ne parvint pas au pouvoir, est la réponse fasciste belge à la crise économique des années 30, à laquelle le parti catholique fit écho.
Pourquoi, là aussi, les femmes ont-elles été dans une large mesure favorables à des propositions qui tendaient à les placer dans un état de dépendance encore accru ? Hedwige Peemans Poullet livre ces deux remarques :
1) Si les femmes ont accueilli avec une certaine satisfaction les propositions rexistes de répression sexuelle, c'est qu'elles savaient, inconsciemment sans doute, que la libération sexuelle ne ferait qu'accroître l'inégalité hommes-femmes. (Pierre féministe dans le jardin de Wilhelm Reich et dans ses théories sur la répression sexuelle. Ce n'est pas la seule que contienne les Femmes et leurs maîtres).
2) Il y a un décalage immense entre la mystique du rôle des femmes et l'indifférence totale de chacun par rapport à celui-ci. Aussi les femmes sont-elles toujours en quête d'une reconnaissance sociale de leur rôle et de leur valeur individuelle. Dès qu'un parti se propose de manifester cette reconnaissance, les femmes ne peuvent que se tourner vers lui avec espoir : l'Etat peut, à tout moment, être celui qui, finalement, en lieu et place du mari, reconnaît tout ce que les femmes font « à la maison ».
Franquisme et salazarisme engendreront la même misogynie avec ses symboles, le même consensus de la majorité féminine, consensus sur lequel un pudique silence règne encore.
On s'en voudrait de ne pas lever, dans le texte consacré au Portugal de Salazar, le fait qu'en portugais il existe un féminin à écrivain, professeur, président, juge, etc. Illustration a contrario de la vanité de la revendication féministe relative au vocabulaire.
Au Chili, le processus de mobilisation des femmes par la droite chilienne, tel qu'il est décrit par Michèle Mattelart, a été d'une tout autre nature, ne fût-ce qu'en raison de mécanismes antérieurs de participation des femmes à la vie publique.
Selon l'auteur : « La femme chilienne des classes dominantes a toujours su établir un compromis avec les normes prescrites par l'autorité masculine et tient pour « léger » le poids de sa servitude au regard des avantages qu'elle en retire : ordre et aisance à l'intérieur de la maison, une relative liberté de mouvement à l'extérieur et la « vénération » du sexe fort... Finalement l'activité qu'elle déploya (contre le gouvernement Allende) ne fit que révéler tout le prix qu'elle attachait à cet ordre. »
Michèle Mattelart considère que la formation d'un front féminin de droite efficace et dynamique s'est articulée sur un antécédent majeur : le rapport que la femme entretient avec l'Etat. « Lorsque l'Etat change de mains, écrit-elle, et menace d'échapper à la bourgeoisie, la femme tend à ressentir ce conflit comme la désertion de l'élément viril des institutions, qui normalement la protège. »
L'auteur spécifie qu'il s'agit là d'un rapport femme-Etat propre à la société capitaliste. A la société capitaliste, vraiment ? Quand, mais quand donc les femmes trouveront-elles l'ennemi, même en elles-mêmes ?
Françoise Colin, rédactrice des fameux et défunts Cahiers du Grif (Belgique) le traque avec rigueur, dans une réflexion sur « L'esclavage volontaire des femmes ».
« Plus que tous les autres opprimés, les femmes pactisent avec l'oppresseur, écrit-elle. Car, dans l'état actuel des relations humaines, le détruire, c'est s'arracher la moitié d'elles-mêmes. L'ennemi n'est pas dans leurs murs : il est dans leur peau. »
Alors, finie la révolte ? Parenthèse fermée ? Soulèvement dilué dans des conduites individuelles de libération de soi par soi, qui ne s'inscriront plus dans un mouvement collectif ? Comme M.-A. Macciocchi, Françoise Colin est près de le penser. Mais elle observe aussi que les anciennes gratifications, réelles ou imaginaires, qui garantissaient la soumission des femmes, n'ont cessé de s'amenuiser. Sécurité et protection, qu'elles croyaient assurées par le mariage, ont disparu. Le sentiment d'être unique lorsqu'elles étaient objet d'amour s'est révélé illusoire : au marché de la libération sexuelle, elles sont échangeables et interchangeables. La royauté de la femme a été jetée au rebut avant qu'elles ne la vivent comme duperie.
Pour reconstituer aujourd'hui le nouveau filet de soumission où elles viendront se prendre, il faudra bien de l'astuce et de l'imagination aux hommes. Nul ne niera qu'ils en soient largement pourvus.
Cependant, la désillusion qui perce à travers les pages des Femmes et leurs maîtres paraît à la taille de l'illusion détruite : excessive.
Femmes ou hommes, où a-t-on jamais vu que les humains soient nombreux à être capables de vivre leur liberté ?