Les poisons d'Elf

encore faut-il que l'indignité des coupables soit établie...
Voilà du bon travail. Le long reportage d'«Envoyé spécial» sur France 2, tendant à décortiquer l'affaire Elf, ou du moins ce que l'on connaît du continent encore immergé. C'est quoi, l'affaire Elf? Pendant des années on a cru, en France, que faire de la politique ne coûtait rien. Quand elle est devenue de plus en plus chère, on a pris l'argent où il était, dans les caisses sans fond d'Elf. Selon l'ancien PDG, Loïk Le Floch-Prigent, tous les présidents de la République, tous, ont été au courant. Cela paraît vertigineux. Les jugements qui ont frappé quelques protagonistes de l'affaire (lesquels ont fait appel) n'ont pas été tendres si l'on pense que ces gens-là n'ont commis que des crimes d'argent. Ils n'ont tué personne. Mais des condamnations, il en fallait, comme une lame dans un abcès. A haute fonction, haute sanction, cela est sain si un serviteur de l'Etat est indigne. Reste que l'indignité de Roland Dumas ? dénoncé par une lettre anonyme, encore une spécialité française ? est demeurée mal établie dans les faits. On a eu d'autre part un sentiment de malaise en voyant Loïk Le Floch-Prigent sur son lit d'hôpital. Il a été léger, distrait. Il le reconnaît. C'est autre chose que la juge veut lui arracher, mais malgré une longue détention il ne parle pas, il souffre d'une maladie de peau d'origine nerveuse, la juge Eva Joly compte que, épuisé, il cédera. A sa place, on craindrait plutôt qu'il ne se suicide. Dans son palais du Gabon, habillé dit-on par Cifonelli, Omar Bongo le président rit en parlant de ses réseaux. Assis sur son pétrole, il observe et s'amuse. La juge Edith Boizette a l'honnêteté de dire que parfois un juge donne des informations à la presse. «Elle nous sert alors de bouclier», dit-elle. Quant à Alfred Sirven, dont la capture devait tout éclairer, c'est ni vu ni connu j't'embrouille. Le dossier Elf représente 140 tonnes de procédure. Tout cela devrait faire encore beaucoup de vagues. Cette jeune femme violée, une de plus, dans le train de Lille, au milieu de l'indifférence générale? Quand donc prendra-t-on l'unique mesure propre à assurer la sécurité des femmes qui circulent seules? Elle est simple. Il faut que le judo fasse partie de l'enseignement obligatoire des filles. C'est dans un bain de littérature que Bernard Pivot nous a plongés pendant deux heures, la bonne, la grande, la vraie. Il s'agissait de réagir à une enquête établissant la liste des cinquante meilleurs romans du siècle, choisis par les Français. Lesquels semblent avoir complètement oublié qu'il y a eu des chefs-d'œuvre étrangers dans le siècle! En tête arrive évidemment Albert Camus, avec «l'Etranger». L'un des invités s'est évertué à démontrer que Camus, c'est nul : cela fait toujours son effet. Philippe Sollers paraissait marri de n'être pas parmi les cinquante. Ce sera pour 2030. En ce moment il fait un match avec Jean-Marie Messier à qui se montrera davantage à la télévision. A partir donc, de cette liste, Frédéric Beigbeder a composé une sorte d'anthologie, intelligente, qui se lit très bien. Il croit que la littérature est menacée. Pietro Citati, auteur renommé d'une biographie de Marcel Proust, répond : «Non, nous avons connu deux siècles d'une immense littérature magnifique. Maintenant, la littérature est fatiguée, elle se repose. Voilà. Cela reviendra.» Un joli mot, la littérature se repose. Et peut-être juste. /FONT>F. G. P.-S. J'ai écrit ici qu'André Derain était sorti, comme Paul Morand, les mains sales de l'Occupation. Sa nièce tient à rappeler que l'artiste a été «lavé de tout soupçon après le rapport du comité d'épuration». Réputation injustifiée, donc. Dont acte.

Jeudi, juin 7, 2001
Le Nouvel Observateur