On ne compte certes pas sur le gouvernement pour avoir du coeur. Mais pour avoir une politique réfléchie
En somme, c'est le bordel. Une quarantaine de sans-papiers, sur 220 régularisés, 4 expulsés, les autres libérés, dans une confusion totale, pour cause d'imbroglios juridiques, clandestins en puissance... Ce psychodrame était-il nécessaire pour en arriver là où l'on aurait dû commencer, il y a cinq mois, à l'examen cas par cas de situations individuelles? Quoi qu'on en pense sur le fond, et sur le combat nécessaire contre l'immigration non contrôlée, il laisse de la cendre dans la bouche. Passons sur les symboles, ce portail d'église défoncé à la hache, cette grenade lacrymogène éclatant près d'un enfant, tout ce qui a eu un caractère odieux s'agissant d'hommes et de femmes qui ne sont pas des malfaiteurs, que l'on sache. Ce n'est pas parce qu'un certain exhibitionnisme du coeur indispose que l'on peut nier son objet : des êtres humains bafoués. Dans la dure réalité des choses, il était inévitable qu'elles se terminent ainsi. Et maintenant? Ce n'est pas par hasard si les télévisions ont été convoquées pour que soit ressentie physiquement en quelque sorte l'évacuation de l'église Saint-Bernard. Le Premier ministre a ainsi lancé son message à travers les frontières à tous ceux qui projettent d'entrer clandestinement en France : ils seront refoulés. Mais ensuite, empêtré dans une loi inapplicable, qu'est-ce que le gouvernement va faire? Du ravaudage législatif? Attendons. Restent ceux qui paient pour faire venir de leur pays des travailleurs au noir et qui alimentent régulièrement le flux de l'immigration clandestine. Quand se décidera-t-on à y toucher? On sait où ils se trouvent : dans le bâtiment, l'hôtellerie, la confection. Seraient-ils sacrés pour jouir de l'impunité? On finira par croire qu'ils cotisent aux caisses du RPR, ma parole! La loi, il faut respecter la loi, pleurnichait M. Debré tout au long de cette crise. Voilà un beau terrain pour s'y employer. En attendant, on ne compte pas sur le gouvernement pour avoir du cœur, ce n'est pas son métier, mais pour avoir enfin sur une question aussi délicate que celle de l'immigration une politique réfléchie et non des réflexes. Ce sinistre épisode est venu rompre la trêve d'août, où l'information est toujours pauvre. Nous avons été gâtés, il est vrai, par les jeux Olympiques d'Atlanta, fabuleux spectacle. Magnifique, le travail de Canal +, qui a su traiter l'ensemble en tenant le spectateur haletant, d'une compétition à l'autre, tout au long des jours et des nuits. Il est trop tard maintenant pour en parler davantage, mais pour une fois où l'on peut de bon cœur dire «vive la télévision» il ne faut pas laisser passer l'occasion. Pour le reste, à l'exception d'un bon feuilleton, «Terre indigo», qui s'étire au son d'une musique excessivement présente, nous fûmes encore rassasiés de rediffusions. Ce n'est pas le principe qui est contestable. C'est le choix. Une émission médiocre ne devient pas bonne parce qu'on la diffuse une seconde fois. Quant à «Y a pire ailleurs», innovation dominicale de FR3, on a eu honte rien qu'à la regarder. On fondait quelques espoirs sur «les Chemins du bouddhisme», documentaire allemand diffusé par Arte. Mais à vouloir recenser toutes les formes que prend le bouddhisme en Europe et aux Etats-Unis, le réalisateur s'est noyé et le spectateur avec lui. Le sujet méritait un traitement plus rigoureux. «Le bouddhisme est pour moi la meilleure religion, mais ce n'est pas la meilleure dans l'absolu», conclut le dalaï-lama. Pour cette parole, on pourrait se faire bouddhiste. Enfin, on put voir, dimanche, le second volet de cette série franco-britannique, «le Siècle des hommes», entamée le mois dernier. Consacré cette fois à «la Paix perdue», la paix de 1918, il ramassait vingt ans d'histoire. De conférences en Société des Nations, de l'illusion lyrique du pacifisme à l'éclatement de l'Europe en une poussière d'Etats indépendants, on suivait le chemin fatal qui allait conduire la France et l'Angleterre à l'abdication de Munich devant Hitler. Un témoin de l'époque, poilu de 14, fut de nouveau mobilisé en 39 à 44 ans. «J'ai pensé qu'on ne serait pas assez bêtes pour refaire une guerre, mais j'ai reçu ma feuille et je me suis dit : Ah! les vaches."» On sait que l'histoire est tragique. Ici on l'a senti jusque dans ses os. F. G. "
Jeudi, août 29, 1996
Le Nouvel Observateur