Les nouveaux munichois

Je hais la guerre? mais j'ai peur de ceux qui en ont peur. Elle les rattrape toujours
Journalistes expulsés, cassettes censurées au départ, une guerre que l'on voit, c'est horrible, une guerre que l'on ne voit pas, c'est frustrant. Passent et repassent des avions en vol, la carcasse du furtif abattu, des drapeaux américains brûlés, quelques plans des malheureux Albanais du Kosovo chassés de chez eux comme des chiens puants. M. Milosevic purifie. Chacun sa méthode, on doit manquer de chambres à gaz, en Serbie? Même CNN vasouille, quasiment privée d'images. En panne d'informations fiables, nous sommes riches en questions. L'Otan est-elle un nid de généraux stupides, comme il y en a dans toute guerre, qui ont conçu une mauvaise stratégie? Y a-t-il risque d'extension à terre? Il y a des guerres qui éclatent par inadvertance, celle de 1914 par exemple, la première qui embrasa le monde parce qu'un Serbe avait assassiné un archiduc autrichien. La suivante naquit de la lâcheté, celle de la France, celle de la Grande-Bretagne. Sinistre souvenir de ce que l'on appelle aujourd'hui d'un mot : Munich. Alors aussi, il y avait en France, en Angleterre des pacifistes sincères qui tendaient leur rameau d'olivier, des ancêtres de nos Verts, bercés par l'illusion lyrique selon laquelle il existe sur terre d'autres rapports que les rapports de force. Il y a 45 guerres en ce moment sur la planète? Justement. Pourquoi en rajouter une? dira-t-on. Bonne question : si on ne l'arrête pas, Milosevic ne va pas se pointer dans les Yvelines ni bombarder Londres. Mais si l'Otan n'avait pas répondu aux Serbes par les armes pendant la guerre de Bosnie, il n'y aurait plus de Bosnie. Ni de Croatie. Milosevic, dictateur élevé à l'école de Staline, dernier des dirigeants communistes en Europe, est condamné à la dynamique de l'expansionnisme. Parmi tous les commentateurs priés de nous éclairer sur cette nouvelle tragédie de l'histoire, le philosophe Claude Lefort, qui n'est pas suspect de bellicisme, a démonté en termes lumineux ce qu'il appelle «la logique impitoyable du phénomène Milosevic». Et il a ajouté: «A la logique de la puissance il ne peut être répondu que par la force» (LCI). Je hais la guerre, comme quelqu'un qui ne l'a pas découverte au cinéma. Mais j'ai peur de ceux qui en ont peur. Elle les rattrape toujours. L'œuvre des poètes n'est pas télégénique. On a beau tendre l'oreille, les citations ne passent pas l'écran. Il faudrait peut-être des sous-titres, je ne sais pas? Cette fois, il s'est agi successivement de deux surréalistes sans autre rapport entre eux, Robert Desnos et René Char. Du premier on n'apprit rien qui n'ait été beaucoup dit, le poète fécond, l'écriture sous hypnotique, l'amant malheureux, la rupture fracassante avec André Breton? Pour finir, une image de lui, émouvante, à Terezin, le camp de concentration où il est mort. Deux vers de lui qui ont sa patte : «Le chat qui ne ressemble à rien/Aujourd'hui ne va pas très bien.» René Char est moins connu, l'homme du moins. Un mètre quatre-vingt-sept, un caractère de chien, parlant comme Bossuet, écrivant dans sa jeunesse un «Hommage à Sade» inattendu. Résistant courageux, aimé et respecté, qui tira de son expérience cette remarque : «Tuer vous change quelqu'un définitivement.» De l'homme de L'Isle-sur-la-Sorgue, j'ai ces lignes en mémoire : «Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds.» Tout cela fut diffusé entre minuit trente et 3 heures du matin dans «Un siècle d'écrivains». Hommage aux poètes! De sa belle voix grave, Edmonde Charles-Roux a présenté chez Pivot le récit de Varian Fry, paru il y a cinquante et un ans, qui n'a jamais trouvé depuis un éditeur français. Plon l'exhume, et c'est une bonne idée. Fry était ce jeune homme américain, débarquant à Marseille en 1940 avec mission de faire sortir de France 200 personnes en danger, dont Picasso, André Gide, Marc Chagall, Henri Matisse. De gros poissons. Il a sauvé un monde fou d'anonymes qui lui doivent la vie. Le préfet de Marseille l'aida jusqu'à ce que Vichy prenne ombrage de cet Américain turbulent. Un récit sans égal. F. G.

Jeudi, avril 1, 1999
Le Nouvel Observateur