Les mousquetaires de l'après-Pivot

PPDA, Durand, Beigbeder, Ferney, Ardisson : globalement, le livre n'est pas négligé par la télévision. Mais il n'y a plus de «prescripteur»
Truquée la consultation? Manipulé, le vote qui a donné la victoire, l'autre samedi, devant 10 millions de Français haletants, à un certain Mario contre un certain Jean-Pascal dit JP? Cette grave question, soulevée dans le cadre de «Star Academy», fleuron de la Une, a fait jaser cette semaine plus que la précampagne présidentielle. JP chante comme une casserole, il se présente «ventriloque du cul», traite sa partenaire de putain, ses professeurs d'enculés, refuse de chanter «Cargo de nuit», «C'te merde», mais? il a une présence. Il plaît. Si bien que, désigné pour l'élimination à cinq reprises par les professeurs, il a été dépassé par Mario, «c'tenculé», comme il l'appelle. Dépassé d'une très cour\te tête, 0,8% des appels. JP out. A-t-on agi, à TF1, pour que les appels soient à la fin comptabilisés de façon à débarquer un garçon incontrôlable, grossier, faiseur d'histoires? Les supporters de JP le soutiennent. C'est invérifiable : le contrat entre la Une et France Télécom garantit le secret sur toutes les opérations. Mais le soupçon épice désormais la sirupeuse compétition. Quelle angoisse! Pour se laver les yeux et les oreilles de «Star Academy», on eut heureusement Mick Jagger sur Canal. La personnalité la plus flamboyante d'une époque où il incarnait la contestation juvénile. Sa belle gueule est fatiguée, mais si les Rolling Stones ont survécu à leur mythe et à leur fabuleux succès, c'est par l'intelligence de cet Anglais, prince du rock et de son temps. Les deux films de Canal étaient riches, savoureux. On avait fini par oublier qu'il peut y avoir encore de bonnes choses sur Canal. Où en est, en cette rentrée, l'après-Pivot? Où s'abreuvent ses 500000 fidèles? Avec «Vol de nuit» sur la Une, PPDA récolte régulièrement un demi-point d'audience, soit 290000 spectacteurs. Franz-Olivier Giesbert («Culture et dépendances», France3) fait mieux, plus de 400000 adeptes mais avec des résultats moins réguliers. Après un bon départ, Guillaume Durand («Campus») a plongé en novembre et en décembre. Frédéric Ferney («Droit d'auteurs», France5) est suivi par 175000 spectateurs réguliers malgré des menus parfois austères. L'audience de Frédéric Beigbeder (Paris Première) n'a pas encore été mesurée. Celle de «Rive droite, rive gauche» est inconnue pour la même raison, mais le livre y est bien traité par l'équipe d'Ardisson. C'est la face blanche du sulfureux animateur, celle à laquelle un écrivain peut se frotter sans aller, selon la formule de Jean d'Ormesson, «au bordel», comme le samedi soir dans le fouillis de «Tout le monde en parle». Globalement, donc, le livre n'est pas négligé par la télévision. Ce qui inquiète aujourd'hui, c'est que, selon les libraires, il n'y a plus d'émission «prescriptrice». Autrefois, il y avait un ouvrage au moins, dans chaque émission de Pivot, dont la vente décollait aussitôt. Cela, c'est fini. Aucune nouvelle autorité ne s'est installée qui déclenche l'impulsion d'achat. Guillaume Durand a cru pouvoir lui substituer celle de critiques. Mais le lien de confiance avec l'acheteur potentiel ne s'est pas créé. Dans le dernier «Campus», un livre était à mettre en valeur, en dehors des ouvrages politiques, le roman de Tonino Benacquista, «Quelqu'un d'autre». Une perle. Un brouhaha stérile l'a accompagné. Le lendemain, les libraires ne savaient même pas qu'ils avaient ce titre en magasin (Gallimard). Le portrait de Jean Daniel sur France3 par Emmanuel Descombes m'a bien plu. On le redoutait parce qu'il est toujours plus facile de parler des autres que de soi. Mais probité, simplicité, sérénité étaient au rendez-vous. C'est une belle vie que la sienne, celle d'un grand journaliste intimement lié à l'histoire mais n'en étant jamais dupe. Lugubre, le reportage d'«Envoyé spécial» sur les mariages organisés entre femmes russes et hommes américains ? désir des femmes d'émigrer, solitude des hommes en panne de «femmes d'intérieur» chez eux. Avant la rencontre, on se tâte à travers internet. Et puis les hommes viennent en groupe à Moscou observer l'âme sœur de près. Les affaires sont en pleine expansion. F. G.

Jeudi, janvier 17, 2002
Le Nouvel Observateur