Milosevic, la foule s'en fiche désormais. Maisattention, il peut rester dangereux
C'est Shakespeare qu'il eût fallu pour dire le dictateur aux abois ne sachant où trouver refuge, inculpé pour crimes de guerre si on s'empare de lui, ses comptes bloqués en Suisse et, sur les mains, le sang de milliers de morts. Son père et sa mère se sont suicidés, tout le monde le sait et, consciemment ou pas, la foule qui a envahi les rues de Belgrade attend qu'il en fasse autant. Nous aussi, devant notre écran. Mais pour l'heure, il est là, on le voit même à la télévision ? qu'on ne peut pas quitter ? on le voit recevant l'envoyé de Poutine. Milosevic est là, vissé, incrusté dans son salon blanc. Dehors, dans un calme impressionnant, la foule attend. Quelqu'un met le feu au Parlement. On l'a vu entrer avec sa veste rouge. L'incendie se propage dans ce lieu symbolique, mais il n'y a pas de panique. D'autres prennent l'immeuble de la télévision d'Etat. Elle retransmet un concert, voici les pianistes, très tranquilles, les instrumentistes qui s'appliquent, et puis, crac, l'écran devient noir. Et tout de suite on comprend : la télévision a changé de mains, sans combat. Dans la rue, le public danse et chante : Milosevic, c'est fini. Un bruit court : il est en fuite. Mais à peine l'a-t-on dit, le voilà qui reparaît sur une autre chaîne pour dire que c'est lui le président. Et qu'il le restera! La foule s'en fiche, elle l'a déjà craché, ce vieux chewing-gum qui s'obstine à rester collé. C'est seulement le lendemain matin qu'il concédera à son successeur, Kostunica, la victoire tout en déclarant qu'il va continuer à se mêler de la vie politique et à s'occuper de son petit-fils. Ah, la touchante image! le bon grand-père Milosevic? En vérité, il peut rester très dangereux, il a encore au Parlement des députés à sa botte et 10milliards de dollars, les réserves du pays, planqués en Russie. Mais la tension de ces trois derniers jours passés devant LCI dans la crainte que l'armée ne bouge retombe. Le jour se lève sur la Serbie. La nuit tombe sur Israël. Images désolantes. Angoisse. Que va faire la Syrie? La guerre? L'historien israélien Zeev Sternhell, spécialiste de la droite française, est interrogé par Edwy Plenel dans «le Monde des idées». A dire vrai, on ne se torture pas de questions sur la droite française en ce moment. Mais sur la droite israélienne, si. Sternhell est radicalement antinationaliste, «le plus grand malheurde notre siècle. La finalité de la politique, c'est le bien de l'individu. Les nationalistes appellent cela décadence. Mais dites-moi, connaissez-vous un coin sur terre où la vie soit meilleure qu'en France?» Vingt pour cent des habitants d'Israël sont des Arabes et commencent à gronder, rappelle Sternhell. Sharon est coupable de provocation, mais cela devait exploser, les Palestiniens ne pouvaient plus attendre, ils ne peuvent plus. Pactiser est maintenant une question de vie ou de mort. Sternhell habite et enseigne à Jérusalem. Il a fait trois guerres avec l'armée israélienne. Voilà ses titres pour parler. Les femmes de Srebrenica, auxquelles un documentaire vient d'être consacré, j'en ai connu quelques-unes en Bosnie alors qu'un camion les déposait, ahuries, affolées, choquées, dans une petite ville qui tentait de s'organiser pour les accueillir avec l'aide d'une ONG française. Ces femmes, jetées sur les routes après avoir été séparées des hommes, étaient dans un état de peur, de détresse morale, d'abattement indicible. Le documentaire de Laurent Bécue-Renard concerne trois d'entre elles auxquelles on essaye de réapprendre à vivre, en suivant une thérapie. Réapprend-on jamais à vivre après avoir tant enduré? Oui, tout doucement, la parole sauve, elles parviennent à verbaliser leurs souvenirs? Un lent travail. Ce que disent ces femmes est poignant (Canal+). Une nouvelle émission a surgi sur La Cinquième, « Absolument cinéma », qui rappelle de bons souvenirs. Anne Andreu était coproductrice de « Cinéma cinémas ». On peut compter sur elle pour ne pas faire du film annonce mais pour parler de ceux dont le travail inspire un peu de curiosité ou de respect? Ainsi, dans ce premier numéro, Arnaud Desplechin. Patrick Devedjian, invité au «Grand Jury», est un débatteur habile et intelligent. Prié d'expliquer pourquoi le chef de l'Etat devait bénéficier de l'immunité, il a donné des explications techniques recevables. Les choses se sont gâtées lorsque Olivier Mazerolle lui a fait remarquer que 72% des Français souhaitaient entendre les explications du chef de l'Etat au sujet du financement des partis. «Pourquoi s'expliquerait-il, a répondu Devedjian, rien ne prouve qu'il ait participé à tout cela!» Une telle réponse n'était ni habile ni intelligente. Une nouveauté, «On ne peut pas plaire à tout le monde», première émission un peu hétéroclite par accumulation de participants mais sauvée par Valérie Lemercier qui est une vraie personne, dense. Bertrand Delanoë, en revanche, n'est pas une bête de spectacle, le pauvre chat? L'animateur Marc-Olivier Fogiel, charmant, devrait logiquement devenir le futur Drucker, le temps de prendre un peu de bouteille (FR3). F. G.
Jeudi, octobre 12, 2000
Le Nouvel Observateur