Le sel et le sucre de la Terre

Dans « Lettre aux femmes », Francis Jeanson expose sa vision des rapports hommes/femmes.
Avec une belle liberté d'allure, M. Francis Jeanson vogue à travers son époque, avide de la saisir non seulement dans sa totalité mais dans son mouvement. Il a écrit sur Sartre et sur le Rire, sur l'Algérie et sur la Foi. Le voici qui regarde aujourd'hui les femmes dans les yeux.
Tendrement, car il les aime et ne craint pas de dire qu'il en a besoin. Elles sont le sel et le sucre de la Terre, elles sont la vie, elles sont la source même de la joie.
Ces progressistes. Alors pourquoi leur arrive-t-il de s'y refuser ? Qu'est-ce qui ne va pas chez elles, et singulièrement chez cette Marie-Anne à laquelle il s'adresse ?
Ne seriez-vous pas, jeune dame, un peu féministe ? Mauvais, cela. Vous êtes là, à vous croire humiliée par le besoin d'être aimée, à jouer les indépendantes, à vous débattre, et contre qui ? Contre les hommes ? Très mauvais, cela.
L'origine de cette lutte, compte tenu des conditions que la société vous a faites, on la voit bien. C'est la fin qui échappe. Qui souhaitez-vous être ? demande Francis Jeanson à Marie- Anne. Un associé à parts égales ou une femme heureuse ?
Nous ne saurons jamais ce que répond Marie-Anne, car l'auteur monologue. Mais, en posant le dilemme en ces termes, M. Francis Jeanson risque de se voir ranger parmi ces progressistes, bien connus des femmes, qui laissent leurs opinions au seuil de leur foyer. Associée et heureuse, est-ce donc impensable ? Egale et aimée, est-ce donc incompatible ?
Mauvaises pensées. M. Francis Jeanson ne nourrit pas exactement ces mauvaises pensées. C'est sur la nature de l'association qu'il a des idées.
Si je les ai bien comprises, telles qu'il les exprime à travers un surprenant marivaudage qui gâte un peu son propos, les voici résumées.
Pour réussir une vie commune, un homme et une femme doivent se présumer alliés, et non adversaires. Alliés pour quoi ? Pour bien faire ensemble le bonheur. Différents, il leur faut parvenir à assumer pleinement cette irréductible différence, d'ordre sexuel, qui n'interdit nullement à une femme « d'exister », de se « réaliser », mais qui la contraint à inventer sa liberté, alors que l'homme est d'emblée détenteur de la sienne.
La première et la plus importante manifestation de liberté, c'est celle qui permet de contester son image sociale, de n'être pas prisonnière du regard que les autres posent sur vous en fonction de leurs préjugés, de leurs traditions, de leur morale.
Les privilèges. Le second degré de la liberté, c'est d'en choisir et d'en tracer soi-même les limites. Par exemple : choisir de n'être pas jalouse, et trouver bon que l'homme le soit.
Toujours la différence entre féminité et masculinité. L'homme peut s'émouvoir de plusieurs femmes, il n'en sacralise qu'une à la fois. Et si celle-là se formalise de le voir céder au charme d'une autre, c'est qu'elle n'y comprend rien.
Reproche-t-on à un homme d'être un homme ? Quant à le payer de retour, à vouloir vivre « comme un homme », qu'est-ce, sinon se priver d'être une femme sans acquérir pour autant les privilèges et les plaisirs de la masculinité ?
Librement. Toutes ces excellentes choses, M. Francis Jeanson les dit avec des fleurs. Des bouquets, des gerbes, des guirlandes, des couronnes offerts aux charmantes qui acceptèrent de partager sa vie. Librement. Et en toute féminité joyeusement consentie.
Ce mode effusif obscurcit malheureusement l'expression de sa pensée au point que l'on redoute parfois de s'y perdre et de la trahir en la rapportant. Et c'est dommage.
« Si les hommes, dans leur grande majorité, sont à ce point emmerdants, écrit-il, c'est qu'ils ne sont pas heureux, c'est qu'ils vivent dans l'échec sur le plan de l'amour. » Faute de pouvoir faire le bonheur des autres, il n'est jamais inutile de leur montrer comment on fait le sien. Sinon celui de sa femme.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express