Un canotier sur la tête et ses chaussures à la main... Comme on l'aime, cet Indien réchappé du massacre perpétré au nom de Dieu!
Ce procès aurait dû être simple. Maurice Papon savait-il oui ou non ce qu'il faisait quand il envoyait des convois d'enfants juifs à la mort? Le reste est anecdotique. Savait-il? Si la réponse est oui, c'est une franche canaille. Pouvait-il ignorer? C'est la question. Dès le 1er juillet 1942, la radio anglaise évoquait, par la voix de Jean Marin, l'existence de «chambres à gaz» dans des «camps d'extermination» et le massacre de 700000 juifs. Un peu plus tard, «le Pilori», journal de Robert Hersant, se réjouissait de ce que, grâce à «des mesures générales et définitives qui vont être appliquées, cette race [soit] sur le point de disparaître de façon absolue de la planète» . Le 20 octobre 1942, «J'accuse», une feuille de la Résistance, rapporte que 11000 juifs déportés ont été asphyxiés pour expérimenter de «nouveaux gaz toxiques» et que des chambres à gaz ont été installées dans quatre camps, nommément désignés. Papon a eu vent, forcément, des rumeurs qui rampent. Il n'était pas manœuvre-balai à la préfecture. Quand il doit organiser, en 1942, la déportation de 1500 juifs, qu'est-ce qu'il en pense? Peut-être ceci. Que ce que l'on raconte est proprement inimaginable. Des camps d'extermination? Qui peut ajouter foi à des abominations pareilles? Fonctionnaire aux ordres de Vichy, puisque les Allemands veulent des juifs, Papon va leur en donner sans état d'âme. Ce qu'ils en font? De la main-d'œuvre probablement. Et les enfants? Les convois d'enfants? Il fallait bien qu'ils aillent rejoindre leurs parents! Bon. De toute façon, ces gens-là ne vont pas revenir le tirer par les pieds. Alors, 1500 de plus, 1500 de moins, on ne va pas en faire une histoire!... Oui, les choses ont pu se passer ainsi. C'est l'hypothèse la plus favorable à Papon, celle de l'incrédulité. On ne peut pas l'écarter systématiquement. Günter Grass écrit debout, en parlant son texte. C'est ce qu'il a raconté dans «Un siècle d'écrivains». Quand il a fini un livre, il se consacre à la sculpture, ce qui lui évite la déprime. «On commence toujours trop vite le livre suivant. Moi, je suis à l'abri jusqu'à ce qu'il s'impose.» Il s'est bien calmé depuis les années où il militait aux côtés de Willy Brandt pour la social-démocratie. Il était alors une vedette sur la scène politique : «Je leur remplissais les salles.» Mais il a décroché quand Helmut Schmidt a succédé à Brandt. «J'ai accepté le rôle de Sisyphe. On pousse la pierre sans cesser de blasphémer, en sachant qu'elle ne reste jamais en haut.» Hostile à la réunification de son pays, il rêvait d'une confédération. Mais il faut lire «Toute une histoire» pour savoir, à travers un livre tonitruant, où en est Grass avec l'Allemagne libérale et capitaliste. C'est ravageur. Au point qu'un critique éminent est allé jusqu'à déchirer le livre en public. Aucun lecteur français ne se livrera à ces excès. «Toute une histoire» ne touchera pas ici de corde sensible. Mais c'est un livre violent et fort qui, comme son auteur, ne peut pas laisser indifférent. Ishi est un personnage bouleversant. Un Indien d'Amérique qui a survécu, enfant, au massacre perpétré par les Californiens. Ishi s'est caché pendant quarante ans dans la forêt et a fini par échouer, un jour de 1911, chez un shérif qui l'a mis en cellule. Ce qu'apprenant, un anthropologue, Alfred Kroeber, tout émoustillé par ce «sauvage», l'a réclamé. Ce fut le début d'une grande amitié entre le savant et l'Indien, un homme doux et même délicieux. «Il a l'élégance qui échappe à tout apprentissage», dit Kroeber. On le photographie, on le filme, on l'exhibe... Le seul problème, avec Ishi, c'est la communication. Il parle une langue indéchiffrable. Un linguiste est sollicité. Victoire, il comprend très bien Ishi... Mais l'Indien est fatigué, très fatigué, en fait il est tuberculeux. Après quatre ans, il meurt. Kroeber en est si profondément affecté qu'il entame une psychanalyse. On le comprend. A la fin du film, où on l'a vu marcher avec un canotier sur la tête et ses chaussures à la main, on l'aime, cet Ishi, on l'aime. Pourquoi les Californiens ont-ils exterminé le peuple indien? Au nom de Dieu. Sa volonté était qu'ils occupent, eux, le continent. Ce n'est que l'une des horreurs commises au nom de Dieu à travers l'histoire, et aujourd'hui encore... (Arte.)F. G.
Jeudi, octobre 30, 1997
Le Nouvel Observateur