Le sale de l'homme

Pourquoi les garçons ne peuvent-ils vivre une sexualité plus civilisée? La recrudescence de cette horreur ? le viol collectif ? oblige à se le demander
Roland-Garros. Il a été magnifique, le Français! Courageux, charmant, l'étoffe d'un vainqueur malgré son ultime échec. Au long du tournoi, il y a toujours un joueur, une joueuse qu'on a dans le nez, allez savoir pourquoi. Celle-ci, celui-là, qu'il serait désobligeant de nommer, on a été assez content quand ils se sont fait sortir. C'est vilain. Mais le spectacle du sport n'a jamais exalté le meilleur d'un être humain. Tony Blair, bravissimo. Il n'est pas évident qu'il ait bien gouverné, en dépit de quelques mesures essentielles (le smig, l'Ecosse), mais il a balayé ses adversaires. Gagner des élections est beaucoup plus difficile que gouverner, comme on sait. Les électeurs ont toujours quelque chose à vous reprocher. En fait, ils oublient ce que vous avez fait et ne se rappellent que ce que vous n'avez pas fait. C'est automatique. Or l'ampleur de ce que Blair n'a pas fait est considérable. Comment expliquer son succès même si l'abstention massive ternit un peu ce succès. C'est un génie, Tony Blair, un produit de la communication, comme science. Appuyé sur un groupe de spécialistes (dont un ou deux Américains, dit-on) qui, du matin au soir, ne pensent qu'à son image, à la réaction immédiate qu'appelle telle information, aux messages qu'il doit faire passer, aux cibles qu'il doit viser, où, comment, à quelle heure, sur quel média, avec son bébé tout neuf sur les bras ou pas, avec le sourire un, deux ou trois. Tout cela est soigneusement calculé. C'est sans doute la machine de communication la plus perfectionnée du monde. Clinton avait pro-bablement quelque chose d'analogue, lui qui savait le poids d'un clin d'?il. Un journal de Dublin accuse Blair d'être«le roi de l'hypnose». Un journal anglais le compare à Berlusconi anesthésiant les citoyens. Mais ainsi vont les choses aujourd'hui : un homme qui aspire à conquérir ou à conserver le pouvoir politique sans disposer d'une cellule puissante de communication est un coureur unijambiste. Le viol est vieux comme les hommes ? les femmes ne violent pas ? et il est révoltant. Mais quand on l'a écrit dix fois et que dix faits divers auront rappelé la permanence de cette horreur dans notre société, on hésite à y revenir. Cependant, une émission d'«Envoyé spécial» sur les «tournantes» apporte quelques éléments d'information. Une tournante, rappelons-le, c'est une situation où une jeune fille qui sort avec un petit ami se fait soudain violer tandis que quatre, cinq, six garçons attendent leur tour pour en faire autant. Quelquefois, rarement, la fille porte plainte. Elle est alors moralement perdue. Elle est déshonorée, exclue de la communauté car c'est elle la coupable, bien sûr, c'est toujours elle. Un garçon dit : «Moi, tant que ça n'arrive pas à ma sœur, je m'en fous?» Pourquoi ce déchaînement de violence de la part des garçons? Parce qu'ils accumulent une masse de violence en eux qui n'a pas d'exutoire. Ils ont des désirs fous de consommation jamais assouvis, par exemple. Pourquoi ne peuvent-ils pas vivre une sexualité plus civilisée? Parce qu'ils ne connaissent que celle-là, celle des films pornos, des sex-vidéos, leur éducation sexuelle se fait là. Les filles pourraient être un peu plus prudentes? Oui, elles pourraient. Mais quand on a le béguin pour son petit ami, on ne peut pas imaginer qu'il va vous attirer dans un piège, vous jeter aux loups en ricanant. Bref, une sinistre histoire qui n'est pas près de finir. Tout était piquant, cette fois, à «Bouillon de culture», histoire de nous tourner le couteau dans la plaie. Savoureux, «Papa est au Panthéon», roman d'Alix de Saint-André au meilleur de sa forme. Elle a une verve, un style, une drôlerie, outre des connaissances encyclopédiques sur le Panthéon et ses pensionnaires? L'épigraphe du roman donne le ton : «A ma mère, ce héros». Encyclopédique également, le savoir de Jean-Jacques Lefrère sur Rimbaud. Il y a tout dans cette biographie, tout ce que l'on sait et tout ce que l'on ne sait pas, qui est beaucoup plus abondant. Un travail gigantesque. Rimbaud est devenu un mythe, celui du rebelle auquel les jeunes gens croient s'identifier, mais sans l'avoir lu, le plus souvent. «J'ai embrassé l'aube d'été. Rien ne bougeait encore au front des palais?» Quinze mots qui devraient suffire à faire lire Rimbaud. Passe d'armes, enfin, entre deux philosophes aux antipodes, Alain Finkielkraut et Michel Onfray, à propos du cours de philosophie plutôt poivré que publie le second. Moi, je l'aime bien, Onfray, tout en pensant qu'il a un grain de folie quelque part. Enfin, au lieu de faire bâiller ses élèves de Platon à Heidegger, il enseigne une collection de philosophes moins connus, coquins, fripons, libertins. Elle ne doit pas être triste, sa classe de philosophie! Finkielkraut était atterré. F. G.

Jeudi, juin 14, 2001
Le Nouvel Observateur