Le petit écran du Bon Dieu

Il était partout, en cette semaine sainte, chez Pivot comme chez Cavada, comme ailleurs. Dieu regagnerait-il du terrain?
Serait-ce pour cause de semaine sainte? Dieu s'est faufilé partout ces jours-ci, chez Cavada où on le cherchait, chez Pivot où on l'avait trouvé, chez Schneidermann où on le récusait, partout. Un vrai festival. Chez Cavada, il apparut que le sentiment religieux est en recrudescence. Mais la quête de sens ne conduit pas forcément vers la tradition catholique qui décline. Quelques exemples furent donnés de Français qui ont choisi le protestantisme, l'islam, le judaïsme, le bouddhisme pour trouver un sens à leur vie. Ils sont jeunes, fervents... Le bouddhiste dit «Moi, je n'ai pas besoin de Dieu... D'ailleurs, je suis athée.» Mais il a besoin de la discipline qu'il a trouvée. L'islamisant a été captivé par la cohérence de l'islam. La jeune femme juive cherche ses racines, la protestante se veut chrétienne mais différente. Tout cela était assez frappant, et illustratif d'une foi éclatée. Chez Pivot, on se retrouva en terrain familier, entre quatre catholiques de choc. Seul dissident : Luc Ferry, le philosophe, qui eut le courage, en cet aréopage, de s'avouer agnostique. Quand il eut dit une ou deux choses fortes ? nous avons pris l'habitude de rejeter les arguments d'autorité; l'homme n'accepte plus les vérités non discutables, il veut penser par lui-même; quel type de transcendance subsiste alors pour un non-croyant? Existe-t-il une forme de sacré compatible avec l'absence d'autorité? ? quand il eut dit cela, sœur Emmanuelle prit la parole et quand elle la prend elle ne la lâche pas. Familière, tutoyant les uns et les autres, propagandiste extasiée de sa propre croyance, elle fit un numéro époustouflant. On regrettera néanmoins que Luc Ferry n'ait pas eu plus longuement la parole tant il touchait un point sensible. Où mettre le sacré aujourd'hui? «Arrêt sur images» s'est consacré aux illustrations qui ornent nos manuels d'Histoire. Est-ce qu'elles mentent, elles aussi? Voici Saint Louis rendant la justice sous son chêne... Nous avons tous cela dans les yeux. Il est assis par terre, dans un costume modeste. L'image est exacte. Mais il y en a une seconde, largement aussi répandue. Là, il est assis sur un trône, habillé en roi. Et c'est ridicule. Saint Louis ne s'est jamais vêtu en roi pour rendre la justice. Il a tenu au contraire à rester proche des humbles. En même temps, pour rappeler qu'il était le roi, il portait un chapeau orné d'une plume de paon blanc. C'est Jacques Le Goff qui nous l'a raconté. Il était très fâché à propos de Clovis, le roi barbare, dont on va prochainement commémorer le baptême, acte fondateur de la France monarchique et chrétienne. Là aussi les images pullulent, elles ne sont pas fausses. Ce qui irrite l'historien, c'est que l'on confonde aujourd'hui l'aspect national et l'aspect religieux de l'événement, confusion qui risque d'être entretenue par la présence du pape à Reims pendant la commémoration nationale. Il est souhaitable, dit-il, qu'on rappelle le rôle qu'ont joué la monarchie et la religion dans la constitution de la France. Mais aujourd'hui, c'est la France laïque et républicaine qui commémore Clovis. On ne doit pas le laisser confisquer par l'Eglise. Serait-ce qu'on va se disputer à propos de Clovis? Nous sommes décidément inguérissables. Sujet plus trivial : les vaches folles ont occupé «Envoyé spécial» qui a fait le tour de la question. Ces vaches, charmantes, ces veaux, délicieux, on les a pris en sympathie... Mais ce n'est pas la question. Sommes-nous en danger quand nous mangeons du boeuf? Pour nous persuader du contraire, le ministre de l'Agriculture, M.Vasseur, a avalé sous nos yeux entrecôte sur carpaccio. Le pauvre homme! Il ne peut rien contre une méfiance instinctive. Même si le risque est infime, à quoi bon le prendre? Personne ne peut dire avec certitude qu'il est nul. Il y a cinquante cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob en France chaque année. A cause des vaches? On ne sait pas. Le sûr est que les Anglais ont été depuis 1986 d'une légèreté criminelle. Ils sont bien contents de trouver l'Europe, maintenant, pour faire, pour le plus gros, les frais de leur inconséquence! Enfin, odieux, sublime, irascible, tendre, exaspérant, bouleversant, Léo Ferré, interrogé par Pierre Wiehn, clôtura la semaine. Il y avait bien aussi un peu de Dieu là-dedans. F. G.

Jeudi, avril 11, 1996
Le Nouvel Observateur