«Michel Tournier est d'une intelligence diabolique», dit son condisciple Claude Lanzmann. Diabolique lui va assez bien...
Maurice Papon. Le parquet a fait appel de la décision de mise en liberté prise par un président mal inspiré. Il se peut que cette décision soit cassée. Sinon, c'est en prévenu libre, libre de parader dans les hôtels cinq étoiles, que Maurice Papon affrontera ses juges. Mieux : quel que soit le verdict, il sera sans objet dès lors qu'un recours en Cassation aura été déposé. Alors, il y en aura pour quatre ans, cinq ans. Suprême crachat à la face de ceux qui lui font procès... Comment éviter ce scandale? Je fais une suggestion. Au lieu d'une peine potiche de réclusion, le jury doit pouvoir se prononcer pour une peine de substitution. Je propose que Maurice Papon soit condamné à voir une fois par semaine «Shoah», jusqu'à ce qu'il en suffoque et demande enfin pardon. Ennuyeuse, l'Europe? Tout dépend de comment on en parle. Le premier numéro du magazine de Christine Ockrent, «France Euro Express» (un mauvais titre, soit dit en passant) a montré que la matière pouvait être vivante et riche en enseignements. S'agissant de l'emploi, pourquoi n'y a-t-il pas de chômeurs en Italie du Nord? Quel est le secret des entrepreneurs italiens? Y a-t-il en France de nouvelles entreprises qui embauchent? Qu'est-ce qui pousse des Français à aller, nombreux, planter leur tente en Grande-Bretagne? Comment les Pays-Bas ont-ils réduit leur chômage? Etc., etc. Le tout fut commenté, parfois remis en perspective, par Martine Aubry, avec vivacité. Ennuyeuse l'Europe? Mais non, mais non! Bon portrait de Michel Tournier dans «Un siècle d'écrivains». «Un homme double, dit Claude Lanzmann qui fut son condisciple. Bon copain presque drôle et puis le visage se noyait d'absence... Il a mis du temps à se rejoindre.» Elève médiocre, au désespoir de son père dont les autres fils sont brillants, il est collé à l'agrégation d'allemand. Choc, boulots divers, les années passent où il applique la théorie de Roger Nimier : «Il faut vivre sous le signe de la désinvolture, ne rien prendre au sérieux, tout prendre au tragique.» Quand il publie «Vendredi», en 1967, il y a dix ans qu'il y travaille. Exemplaires vendus : 4millions. En 1970, il reçoit le Goncourt pour «le Roi des Aulnes». Il devient l'écrivain français de référence. Son modèle : Zola, parce qu'il allait, lui aussi, sur le terrain. «Michel Tournier est d'une intelligence diabolique», dit encore Claude Lanzmann. Diabolique lui va assez bien. Il y a du Malin dans cet homme-là, retranché dans sa campagne où il plante des sapins et des bouleaux. Ses relations avec Dieu? Il s'en tire par une pirouette. Marxiste? Pas pour un sou : «Ce sont les symboles qui font marcher la société. Ce n'est pas l'économie.» Les symboles, il connaît. Son œuvre en est pleine. œuvre troublante comme lui, tant Tournier, sous son air bonhomme et son petit bonnet, est insaisissable. «Faut pas rêver», magazine de la Trois, a déniché à Cuba le photographe qui a réalisé le fameux portrait de Che Guevara étalé depuis dans le monde entier. Il se nomme Alberto Korda. Il n'a jamais perçu le moindre droit d'auteur. Photographe de mode, il a pris cette photo par hasard, un jour que le Che était sur une tribune, et l'a rangée dans ses archives. Sept ans plus tard, l'éditeur italien Feltrinelli lui a demandé s'il avait une photo du Che. Il lui a donné celle-là, gratuitement. Et la vague a déferlé. Korda n'est pas amer. Il garde précieusement son négatif et le regarde de temps en temps. Il devrait être millionnaire en dollars. Scène bouffonne à «Droit d'auteurs». Alan Sokal, le physicien américain qui a dénoncé les «impostures» de quelques intellectuels français (voir «l'Obs» du 25 septembre 1997) présentait son livre où il décortique quelques cas saisissants. Il s'agit, en gros, de l'introduction inconsidérée de notions mathématiques mal digérées dans les sciences humaines. Cuistreries parfois comiques. Aussitôt, ce fut le tollé. On renvoya Sokal dans ses cordes. On lui conseilla de faire éditer aux Etats-Unis un ouvrage qui ne concerne pas les Français. Pas français, Baudrillard, Gilles Deleuze, Lacan, Virilio? Frédéric Ferney s'écria :«Ce livre est très mauvais», ce qu'il ne fait jamais, fût-ce à propos de nanards. Bref, le coq gaulois outragé a réglé son compte à l'insolent étranger sans lui laisser placer trois mots. Ah! mais! Ahurissant. F. G.
Jeudi, octobre 16, 1997
Le Nouvel Observateur