Le livre « blanc »

Publication du « Livre Blanc de la Jeunesse » par François Missoffe. Donne quelques informations intéressantes sur la situation de cette jeunesse révélée dans ce livre. Craint que rien de concret ne soit entrepris malgré ces révélations.
Il suffit de voir M. François Missoffe, ministre de la Jeunesse et des Sports, pour être assuré de ses intentions. Elles sont pures. Mais quelles sont-elles ?
Au fil des pages du « Livre Blanc de la Jeunesse » qu'il vient de rendre public, on lit ceci : «... Cette situation met en évidence la difficulté d'élaborer une politique de la jeunesse dans une société libérale fortement divisée entre des courants idéologiques et culturels divergents... »
Osons ajouter : « Heureusement. » Les sociétés totalitaires et les colonels grecs n'ont jamais eu, en effet, de difficultés à élaborer une « politique de la jeunesse ». Au demeurant, il ne s'agit pas de se battre autour de l'enseignement du latin.
L'accès du Livre Blanc demeure, pour le moment, réservé aux personnes méticuleuses et musclées, capables de manipuler sans faux mouvement plus de cinq cents feuillets mobiles et non numérotés, pesant ensemble 1 kilo 400. Il y a là comme un défaut de conception au niveau pratique, dont on nous assure qu'il sera corrigé pour une prochaine édition. Par chance, M. Missoffe n'est pas ministre de l'Equipement.
Au niveau théorique, le contenu ne répond pas à ce qui avait été annoncé — les besoins et les exigences des 15-24 ans formulés par les intéressés eux-mêmes — mais il présente un incontestable intérêt, dans la mesure où il fait la somme de tout ce qui a été dit, écrit, mesuré, chiffré à ce sujet.
Il ne va ni plus loin ni moins loin. Il déroule un panorama honnête où s'inscrit la situation matérielle, morale, scolaire, psychique, professionnelle d'une classe d'âge. Situation qui n'est pas bonne. Mais on ne voit guère pourquoi une situation générale difficile et parfois cruelle aux adultes serait rose pour leurs enfants. On voit assez bien, en revanche, où la responsabilité des pouvoirs publics est engagée, et où il s'agit d'un problème de civilisation.
Quelques informations seront utilement diffusées et méditées. Par exemple :
76 % des jeunes gens du contingent n'ont pas dépassé le certificat d'études. Le pourcentage du Produit National Brut consacré à l'enseignement est de 4,35 % en France contre 5,80 aux Etats-Unis, 5,80 aux Pays- Bas et 5,04 en U.R.S.S.
Un tiers des jeunes gens ne reçoivent
aucune formation professionnelle. Tous souffrent d'une grave sous-information en matière d'orientation professionnelle et ignorent dans quelle spécialité ils trouveraient un emploi. En sont-ils instruits, qu'ils ne reçoivent pas de formation appropriée, car celle-ci est conditionnée par les écoles existantes et non par les besoins du pays.
70 % des 16-21 ans sont au travail et gagnent environ 520 Francs par mois. 63 % font des économies, disposent, à 15-16 ans, de 60 à 80 Francs par mois d'argent de poche. Tous dépensent ensemble 5 milliards par an et sont animés en premier lieu par le désir d'être motorisés, désir d'autant plus fort que les horizons sociaux et professionnels sont bouchés.
226 000 jeunes maris ont moins de 25 ans. « Leur impuissance économique (je cite) limite actuellement leur accès aux logements nouveaux. » Dès à présent, 39 000 jeunes ménages totalisant 127 000 personnes ne disposent ensemble que de 47 000 pièces d'habitation. Situation qui ira s'aggravant.
La lecture reste le passe-temps favori des jeunes gens. Non seulement parmi les lycéens, mais parmi les apprentis de Renault. Mais qu'il s'agisse de lecture ou de sports, ce sont les adolescents qui ont déjà été éveillés ou éduqués à l'école qui saisissent les occasions offertes de cultiver leur corps ou leur esprit.
Le Livre Blanc du ministre des Sports n'hésite pas à préciser : « C'est peut-être parce que l'école et même l'armée sont en partie défaillantes dans le rôle d'incitation à la pratique sportive qu'elles devraient assumer que l'on a pu considérer que le sport français, en dépit de succès occasionnels, était malade... »
Tout cela, on le voit, n'est pas complaisant.
S'y ajoute une très forte partie consacrée à l'étude des difficultés proprement psychologiques, les unes éternelles, mais qui commencent seulement à être éclaircies, les autres aggravées — ou, en tout cas, rendues différentes par l'évolution de la société et des rapports entre hommes et femmes, l'urbanisation, la coïncidence entre une nouvelle précocité physique et un allongement du temps de dépendance à l'égard de la famille, qui prolonge l'ambiguïté de l'adolescence »
Le passage à l'âge d'homme n'a jamais été une mince histoire. Il est bon de montrer comment il s'articule, aujourd'hui, sur des problèmes concrets tels que la nature de l'enseignement, le statut des apprentis et les carences de la construction. Et il est remarquable d'avoir évité, dans cette analyse, la classique projection que les adultes font, sur la jeunesse, de leurs propres angoisses par rapport à ce qu'ils appellent « la dégradation des valeurs », ou «la société technique ». D'autres valeurs naissent. Une autre société se construit. Et puis voilà. La vie continue. La nostalgie comme l'excès d'espoir dans le devenir de cette société sont également suspects.
De cet énorme Livre Blanc on retire, en définitive, deux sentiments.
L'un : l'anxiété de la jeunesse devant l'avenir est fondée, et il est normal qu'elle l'expulse, fût-ce de bruyante façon.
L'autre : aussi longtemps que les enfants issus des classes dirigeantes ne seront pas gravement handicapés matériellement dans leurs études, leur développement, leur santé, leur insertion professionnelle, leur habitat, on peut craindre que rien de cohérent ne soit entrepris pour mieux assurer l'avenir des enfants des autres. Et l'on se demande combien de temps il faudra pour que, au niveau de ces classes dirigeantes, on comprenne que l'avenir ne se divisera pas. Les enfants d'aujourd'hui seront, demain, tous dans le même bateau.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express