Les gens de culture sont entrés en résistance. Et c'est déjà beaucoup
Il y a deux affaires distinctes. Un : le licenciement par le maire FN de Toulon de Gérard Paquet, directeur de Châteauvallon, centre culturel du Var. M.Paquet bénéficie dusoutien ardent et ferme du ministre de la Culture, M.Douste-Blazy, qui fait de Châteauvallon un symbole. Deux : le projet de loi Debré qui appelle les citoyens à la délation envers l'étranger qu'ils auraient hébergé. Châteauvallon a suscité une émotion vive mais qui est restée circonscrite aux milieux culturels. Le projet de loi Debré a déclenché un raz de marée de colère qui a pris naissance parmi les cinéastes et qui, comme une traînée de poudre, a gagné de vastes catégories d'intellectuels, d'artistes, de Français en tout genre. Leur appel préconise la désobéissance civile à la loi. Cet appel a eu un tel retentissement que Bernard Pivot s'est senti obligé de recevoir quelques-uns de ses signataires. Mêlant les deux affaires, il a invité le maire de Toulon, qui s'est fait représenter par M.Bruno Gollnisch. Ce fut un beau brouhaha. La présence goguenarde de celui-ci s'imposait-elle? Non, dirent les uns. «On est tous les clowns de ce monsieur» (Patrice Chéreau). Si, dirent les autres. «Il montre le vrai visage du Front national» (Guy Sorman). En vérité, il n'est jamais bon de mettre un homme seul en face de dix contradicteurs, sauf à en faire une victime. Mais Gollnisch n'est pas Le Pen et, à quelques insultes près, il fut terne. Plus efficace fut le ministre, déclarant qu'il ne laissera pas des élus municipaux instrumentaliser la culture pour faire passer leur politique... I-nac-cep-table. Quand le débat se déplaça sur le projet de loi Debré, chacun stigmatisa la phrase malheureuse qui appelle à la délation. Et cela, les signataires de l'appel, qu'ils se situent à droite ou à gauche, le refusent. Ce qui permit à M.Gollnisch de ricaner sur la faiblesse des mesures mises en œuvre pour lutter contre les clandestins. Il n'avait pas entièrement perdu sa soirée. Il n'y a pas d'attitude qui puisse être plus populaire. Et c'est la question que l'on peut se poser : cet appel, ces pétitions, cette effervescence, comment le public les reçoit-il? Comme un acte collectif salutaire d'insurrection contre la marée noire du FN? Ou comme l'agitation sentimentale de saltimbanques irresponsables? Personne ne sachant au juste comment il faut s'y prendre pour endiguer le Front national, on est heureux que les gens de culture soient, pour leur part, entrés en résistance. Le feu est dans la maison. Pour la Saint-Valentin, Arte nous a parlé d'amour. Ce ne fut pas exactement romantique mais scientifique. Ainsi apprit-on que deux cent cinquante substances contribuent au processus amoureux, que l'amour se développe dans une jungle de neurones et naît d'une hormone agissant par le biais du nez mais dont la perception est infrasensorielle. On apprit encore que la bisexualité est dans la nature. Hélas, hélas, l'état amoureux, ce moment merveilleux où l'on est comme dépossédé de soi-même, est par essence provisoire, parce qu'il s'agit d'une émotion intense et qu'aucune émotion ne peut durer. Même le rat se lasse, s'ennuie à la longue... Passe le désir, restent pour l'abandonné(e) la souffrance, la jalousie, le désir de vengeance. Tout cela laissait un peu mélancolique, mais c'était bien joliment fait. «Les Dossiers de l'histoire» se sont intéressés à l'ascension et à la chute de la maison Potin. Félix Potin, empire de l'épicerie édifié par un homme d'audace et d'imagination qui a tout inventé dans sa spécialité. Et puis, d'héritier en héritier, l'empire s'est désagrégé jusqu'à disparaître. A première vue, on ne se passionnait pas pour Félix Potin. Mais l'histoire, bien racontée sur fond de XIXe siècle puis de XXe ? le déclin?, en faisait un roman de Balzac. Enfin, un remarquable documentaire, diffusé par «le Sens de l'histoire», a condensé de façon claire les tribulations de la construction européenne depuis Churchill ?«Nous nous rassemblons contre la tyrannie» ?, jusqu'à la bataille du référendum sur le traité de Maastricht, avec partisans et adversaires déchaînés. Cinquante ans d'une histoire qui se durcit de jour en jour. «Comment l'Europe peut-elle nous réunir? Cette question n'a pas fini de nous diviser...», conclut le commentateur. Et pourtant, dans les affres et les peurs, l'Europe se fera. F. G.
Dimanche, juillet 20, 1997
Le Nouvel Observateur