Le drapeau noir des gendarmes

Il n'y a jamais eu moins de citoyens que depuis qu'on met ce mot à toutes les sauces
Dès lors que les gendarmes, corps militaire, se rebiffent, que dira-t-on aux collégiens quand ils cracheront sur leurs enseignants, réclameront trois jours de vacances par semaine et exigeront de leur mère une augmentation de leur argent de poche, sous la menace d'un couteau? Cela procédera de la même démarche et d'un même phénomène, intéressant à observer : la désacralisation accélérée de l'autorité. En fait, c'est une longue histoire. Elle a dû commencer vers le milieu du XIXe siècle, 1850 ou quelque chose comme ça. Jusque-là, c'est la religion qui structurait les sociétés humaines, en ordonnait l'organisation collective, l'ordre qui tient ensemble et que chacun doit transmettre tel qu'il l'a reçu. La croyance religieuse est croyance dans l'autorité du passé. Le système a basculé, remarque l'historien Marcel Gauchet, quand la croyance politique, qui est croyance dans l'autorité du futur, a commencé à se développer. Quand l'ordonnance du monde, donnée et imposée par plus haut que l'individu, Dieu pour ne pas le nommer, n'est plus acceptée parce que la société découvre qu'elle se produit elle-même. Dès lors, la religion perd son autorité législatrice suprême, elle devient une option particulière de l'individu, un choix personnel, au lieu de fournir la table de référence de la communauté. La croyance politique qui s'y est progressivement substituée, c'est la foi républicaine, liberté, égalité, fraternité. C'est beau, la République, et il y avait beaucoup de sacré là-dedans. Mais peut-on encore parler de foi républicaine collective quand 24000 gendarmes font chanter leur ministre, soutenus par la population? L'Etat n'est plus, pour tout le monde, que la boîte à sous. Il n'y a jamais eu moins de citoyens que depuis qu'on met ce mot à toutes les sauces. Les coutures de la société française, ce qui nous tient ensemble, sont en train de craquer. On chercherait en vain l'élément unificateur dans le pays hormis la langue et la Coupe du Monde quand on la gagne. Il ne s'agit pas de faire une tragédie avec cette histoire de gendarmes, mais seulement de voir que ces braves gens ont beau aller à la messe, ce n'est plus là qu'ils prennent leurs consignes, et qu'il va devenir de plus en plus difficile de gouverner une collection d'individus qui semblent ne plus rien partager que les revendications salariales et le désir de loisirs prolongés. Policiers, douaniers, internes, magistrats, enseignants ont joyeusement pris le chemin des gendarmes. On comprend que Lionel Jospin s'interroge sur le point de savoir s'il était vraiment animé par le désir de devenir chef de l'Etat. Il l'a fait avec talent ? «le désir, ce moteur puissant de la vie» ?, avec un accent de sincérité qui touchait et un sourire qu'on voudrait lui voir plus souvent. «Ils ont tellement menti que plus personne ne croit un mot de ce que disent les autres.» Ainsi Hubert Védrine a-t-il résumé, devant «le Grand Jury» (LCI), les relations entre Israéliens et Palestiniens. Le ministre des Affaires étrangères ne porte pas de jugement. Il constate les dégâts, effroyables. Faut-il maintenant détruire l'Autorité palestinienne, comme le déclare Sharon? Absurde. Le Hamas a dans la population un soutien aussi fort qu'Arafat et poursuit l'éradication d'Israël. Alors, une force d'interposition? Non. On ne peut pas l'imposer. Edwy Plenel a voulu mettre face à face l'ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, et l'historien palestinien respecté Elias Sanbar, soit deux hommes de culture, modérés, patriotes mais non nationalistes. Cela s'est bien passé, et puis l'échange a tourné à l'aigre. Et on s'est dit que si ces deux hommes ne pouvaient plus se parler, la paix n'était pas près de revenir là-bas. Plus gai, bien qu'il se déroule dans une entreprise de pompes funèbres, un feuilleton américain délectable : «Six Feet Under». Le scénariste Alan Ball s'est déjà distingué avec un film, «American Beauty». Ici, il a écrit une petite merveille, pleine d'audace, de finesse, de drôlerie, de tendresse, et pour finir de profondeur. A ne pas rater. C'est sur Canal-Jimmy. L'élection de Miss France : la foire aux filles, il paraît que le public adore, et il y avait dans l'assistance Yves Coppens, président la cérémonie, ce qui ne manquait pas de surprendre. On a vu quarante-six filles, mal fringuées et parfois gauches, mais jolies, déambuler, marcher et encore marcher et remarcher sur une scène, sourire incassable vissé aux lèvres pendant trois heures comme un clou rouge. D'exclusions en exclusions, plus féroces encore que «Loft Story» ou «Star Academy», mais qui ne soulèvent curieusement aucune réprobation, celles-là, de la part des âmes sensibles, il en est resté cinq, puis une, une avocate de Lyon qui a de beaux yeux. Celle-là pourrait bien donner du fil à retordre à l'ineffable gardienne du temple (TF1). F. G.

Jeudi, décembre 13, 2001
Le Nouvel Observateur