Quand les gens ne croiront plus à l'Immaculée Conception, ils croiront aux tables tournantes, disait Flaubert. C'est ce qui se passe au Brésil
Pourquoi l'a-t-on cachée, cette cagnotte qui n'en est pas une, ce supplément de recettes fiscales qui devient une fable? Cachée pour en faire quoi? En user à sa guise? La dilapider en fêtes, façon Mazarin ou Fouquet? Evidemment non. Mais l'objectif du ministre argentier n'est pas clair. Alors les langues frétillent. Jean-Louis Debré, chez Paul Amar, était tout près de l'insinuation, tout près (France 2). Cagnotte ? qui signifie tout bêtement caisse commune des mem-bres d'un groupe ? est devenu un mot délicieux qu'on ne se lasse pas d'avoir en bouche. Au mieux de sa forme, Philippe Séguin, interrogé par le Grand Jury RTL-le Monde (LCI). Et parfois redoutable. Tour de piste général. Poutine : ne pas oublier avant de lui cracher à la face qu'il a le doigt sur un bouton qui peut nous transformer en lumière. L'Autriche : les Quatorze ont bien agi. La Mairie de Paris : si on vient me chercher, je suis disponible. Chirac : il restera dans une seringue tant que son action et celle du RPR ne seront pas découplées. Ce fut incisif, percutant, et le moteur ne s'est pas emballé! Quelquefois apparaît sur fond d'histoire un dirigeant entièrement bénéfique à son peuple par son intelligence politique, son habileté, son courage. C'est le cas du roi d'Espagne. Malheureusement, le document consacré à cette grande aventure romanesque entre un pays et son prince osant le réveiller du fascisme se situait par son commentaire au niveau d'un mauvais magazine populaire. Il restait quelques images, peu connues, du temps où, pendant les dernières années de Franco, Juan Carlos, successeur désigné, avait choisi de «faire l'idiot», de jouer les grands benêts pour n'effrayer personne. Suprême intelligence. Tout le monde y a cru. Le roi s'est rattrapé depuis («le Sens de l'histoire»). «Strip-tease»: on rentre chez des inconnus, des gens ordinaires, on les saisit tout crus, quelquefois en pleine crise, ils se balancent des vannes, ici un garçon qui harcèle sa mère à propos de son père, là une prof débordée par sa classe, ailleurs un commerçant décomposé qui ferme boutique faute de clients. Tout cela évoque un peu le cinéma-vérité d'autrefois, bien que ce soit très élaboré. En tout cas, de la tranche de vie bien grinçante qui a des amateurs (France 3). Quand les gens ne croiront plus à l'Immaculée Conception, ils croiront aux tables tournantes, disait Flaubert. C'est à peu près ce qui s'est passé au Brésil où deux Eglises rivales brassent des milliards et surtout des millions d'adeptes ensorcelés. Les charismatiques sont sous le charme d'un jeune prêtre chanteur et danseur, Marcelo Rossi, la plus grosse vedette médiatique du pays, qui se réclame de l'Eglise apostolique et romaine. Mais c'est un grand réaliste. En quelques années, cette Eglise a perdu quasiment tous ses fidèles. Il était temps de changer la méthode de recrutement. Avec Marcelo Rossi, on se bouscule pour aller à la messe, on communie à tour de bras, il remplit les stades, il vend ses disques par millions. C'est une idole vivante. L'Eglise rivale, encore plus développée, qui se baptise modestement Eglise universelle du Royaume de Dieu, c'est un autre genre. Quatorze de ses représentants sont députés. Elle rayonne dans 65 pays, possède sa chaîne de télévision. Postule que tout s'explique par le démon. Vous êtes malade, triste, grugé, c'est un coup du démon. Il est en vous, il faut l'exorciser. On va s'en charger. Naturellement, ça coûte un peu d'argent. L'Eglise est très riche. Le patron de cette Eglise, ancien marchand de soupe, s'est autoproclamé évêque. Il faut lui donner 10% de son salaire pour bénéficier de sa bénédiction; 65% des adeptes, il faut le dire, sont des femmes. La guerre est ouverte entre deux Eglises («Envoyé spécial»). F. G.
Jeudi, février 17, 2000
Le Nouvel Observateur