Chirac ou Jospin? Pour le moment, le gagnant dans la campagne, c'est Canal+ !
Lionel Jospin au Stade de France, aux Césars, chez Claire Chazal longuement, ça y est, c'est parti! Et il est presque gai, et il a quitté Chazal sur cette phrase : «Pour un homme de mon âge, me trouver dans l'incertitude totale de ce que je serai demain, c'est merveilleux!» C'était sympathique. Mais pour le moment, le gagnant dans la campagne, c'est Canal+, ou plutôt les Guignols, un peu fanés et soudain reverdis. Ils ont toujours eu Chirac au bout des doigts. Dans son dernier exploit, il promet du caviar. Philippe Séguin est irrésistible, Bayrou savoureux. Jospin moins réussi parce qu'il est lisse, il n'offre pas de trait comique à grossir. Là, il faut travailler, messieurs les Guignols, mais merci de nous faire rire. Parce que, pour le reste, on s'ennuierait plutôt! Lors de chaque élection présidentielle, on a promis la réforme de l'Etat, de la fonction publique, une baisse des impôts, la sécurité des biens et des personnes, l'autorité restaurée, l'éducation rénovée. Pourquoi rien de cela n'a-t-il jamais lieu, ou est-il abandonné à peine bricolé, alors que, parallèlement, beaucoup de choses remarquables ont été réalisées dans ce pays? Aussi, les programmes laissent incrédule. Est-ce incapacité congénitale des gouvernants? Les choses sont malheureusement plus compliquées. Jean Peyrelevade a bien connu le pouvoir politique de l'intérieur, auprès de Pierre Mauroy, Premier ministre, il est aujourd'hui patron d'une grande banque, le Crédit lyonnais, il a beaucoup navigué, il publie une analyse froide des freins qui paralysent l'action gouvernementale («la République silencieuse», Plon). Ces freins sont souvent le reflet de la guerre civile que chaque citoyen français porte en soi. On veut et on ne veut pas, on est à la fois réaliste et romantique, moderne et archaïque. Interrogé par Nicolas Beytout sur LCI, Jean Peyrelevade en a détaillé les conséquences à venir de telle façon que Beytout, qui n'est pourtant pas ignorant des réalités, en était comme assommé. Son livre n'est pas gai. Mais il est éclairant. Jean Peyrelevade est classé par ses pairs «patron de gauche». Tout est toujours relatif, mais c'est sous cette lumière, le souci de l'intérêt général, qu'il réfléchit. France-Angleterre de rugby, ce fut voluptueux. Du beau et du bon rugby, une belle équipe française qui a mérité sa victoire sur la meilleure équipe du monde, les Anglais manifestement offensés par un 20-15. Autrefois, les joueurs de rugby étaient baraqués mais ils avaient pris tant de coups sur la gueule, le nez, les oreilles, la mâchoire qu'ils étaient tout rapiécés. Sont-ils soignés et réparés mieux et plus vite? L'équipe de France s'est présentée samedi sous le meilleur aspect. La cérémonie des Césars a confirmé que 2001 avait été une bonne cuvée pour un cinéma français sorti de sa torpeur. On peut toujours discuter un palmarès où «Amélie» emporte les deux récompenses majeures, mais les autres n'ont pas été négligés. Oserais-je dire que, spectatrice parmi les premières d'«Amélie», j'avais trouvé le film gentil et un peu barbant? Ce fut le triomphe mondial que l'on sait. Ces choses-là ne se discutent pas, ne se programment pas et ne se renouvellent pas. On peut tout au plus essayer de les comprendre. Je crois que les succès de cette nature se produisent quand il y a tout à coup, dans le temps, coïncidence entre la sensibilité d'un bon auteur et la demande inconsciente du public. Saturés, partout, de pornographie et de violence, les spectateurs ont cueilli avec délice la petite fleur bleue. Philippe Djian a un public et peut probablement se vanter d'avoir amené à la lecture une génération pour laquelle Flaubert, Proust et Stendhal sont rasants comme ils le sont pour lui. Peu importe les voies de la providence si elles conduisent à ce bonheur, lire, si elles procurent plusieurs fois dans une vie ce choc inouï, cette rencontre avec un écrivain qui ne sera jamais oubliée. A l'intention du jeune public, Djian a recensé les dix ouvrages qui ont joué pour lui ce rôle éblouissant. Les auteurs sont tous américains sauf deux (Cendrars et Céline) mais fort lus en France (J.D. Salinger, Jack Kerouac, Herman Melville, Henry Miller, William Faulkner, Ernest Hemingway, Richard Brautigan et Raymond Carver). Bon choix, rien d'imprévu. Cette sélection, commentée, fait l'objet d'un petit livre-mine («Ardoise») qui a servi de prétexte à l'émission de Ferney, tout entière à Philippe Djian consacrée. A 52 ans, il a laissé la rébellion au vestiaire et s'est soumis poliment à l'exercice.F. G. P. S. Une phrase ambiguë à propos du film de Tavernier («N. O.» du 24 janvier 2002) a pu laisser croire que Jacques Becker avait travaillé pour la Continentale pendant l'Occupation. Ce n'est nullement le cas. Becker a réalisé au cours de cette période son premier film, «Dernier Atout», puis «Goupi Mains-Rouges», mais l'un et l'autre produits par des sociétés françaises.
Jeudi, mars 7, 2002
Le Nouvel Observateur