Le bouffon du Roi Lear

C'est comme cela que le journaliste tunisien Ben Brik, en révolte contre la censure dans son pays, se définit lui-même. Et heureusement qu'il y a encore des clowns de cette espèce!
Ben Brik, le journaliste tunisien insurgé, a regardé son ambassadeur sur LCI, de sa chambre, et a laissé tomber : «Pourquoi Ben Ali ne se paye-t-il pas un meilleur diplomate?» Insolent, un ego gros comme lui, un style châtié(«Je n'ai pas été mutilé de la langue»), le voilà qui occupe brusquement la scène. Découvrant à des yeux pudiques qui eussent préféré l'ignorer la nature? disons autoritaire du régime tunisien. Quelle est sa légitimité pour parler? «Je me considère comme le bouffon du Roi Lear? Si mes amis venaient au pouvoir, je resterais le clown qui ne les laissera pas dormir?» Il y a du clown chez lui, c'est évident. Heureusement qu'il y a encore des clowns de cette espèce? Il faisait la pâle gueule, Tony Blair, après l'élection de Ken Livingstone. (Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir un maire dans leur capitale? Giscard d'Estaing s'en est assez mordu les doigts!) Le beau Blair a fait, semble-t-il, des erreurs tactiques. Outre qu'il aurait vraiment pu restaurer le métro! Rien ne doit être plus désagréable à un Premier ministre socialiste que d'avoir fait le lit d'un gauchiste archaïque. D'autant plus que Livingstone a du talent : «Quand je serai élu, il y aura du soleil à Londres tous les jours. Même la nuit», a-t-il promis. Pour vendre du rêve, c'est une jolie façon de dire. C'était en 1947, au Théâtre des Champs-Elysées, le ballet de Cocteau et de Roland Petit. Surgit sur la scène un ange bondissant. Un inconnu. Beau de la tête aux pieds, une dimension tragique, une grâce de fauve? La salle, s'enflamma. Jean Babilée a reçu ce soir-là le sacre de Paris, et cela voulait, alors, dire quelque chose. En 1979, il se produisit à New York. Michel Baryschnikov, le fameux dissident du Bolchoï, tomba à ses genoux en disant : «Je n'ai jamais vu danser comme ça.» Babilée n'a pas fait de télévision, donc le public d'aujourd'hui ne le connaît pas. Ce fut une surprise de voir, sur Muzzik, un document à lui consacré. Il raconte, il raconte? Beaucoup d'archives superbes ont été retrouvées où on le voit danser. Une grande chaîne devrait racheter ce film, en couper une heure et le diffuser. Par moments, c'est sublime. Marc Ferro a fait un mariage alléchant pour commenter les actualités du 1er mai 1950. Face à face, Jean-Luc Godard et Eric Hobsbawm, l'historien marxiste. A la fin des actualités françaises, Godard a eu un joli mot pour désigner ce qui intéressait alors la Nouvelle Vague : ce dont les parents ne parlaient pas à table. Pour le reste, la bande-son n'a pas été à la hauteur de l'affiche. Un club d'amateurs se faufilant tout au long de la saison de petite victoire en petite victoire, puis effaçant Strasbourg, ridiculisant Bordeaux et se retrouvant en finale pour la Coupe de France face à Nantes, champion l'an dernier, ça ne s'était pas vu depuis? 1918! Il s'en est fallu d'un penalty pour que les valeureux Calaisiens déboulent au paradis. L'exploit leur a filé entre les mains ou plutôt entre les pieds. Les Nantais ne sont pas manchots. Il reste qu'on joue très bien, à Calais, comme on a pu le voir. Mais si l'on fait de cette histoire un roman de Zola, prolos de Calais contre bourges de Nantes, on dérape. Le foot souffre parce que, entre autres raisons, quarante de nos meilleurs éléments ne jouent pas en France mais dans des clubs étrangers, attirés par des salaires hallucinants. On ne peut pas les attacher. Nos clubs sont handicapés par rapport aux Anglais ou aux Italiens, par exemple, parce que le foot n'a pas de spectateurs en France. A la télévision, oui ? ils étaient plus de 13 millions dimanche ? mais pas ou peu dans les stades. Donc peu de recettes. Cette année, en l'absence des joueurs liés ailleurs, le niveau des rencontres n'a pas été très élevé, il faut bien le dire. Il a fallu la fraîcheur, la motivation, le travail aussi des amateurs de Calais pour faire passer le souffle de la passion désintéressée sur le Stade de France. Une cérémonie quasiment mystique! Le foot d'avant le veau d'or? F. G.

Jeudi, mai 11, 2000
Le Nouvel Observateur