L'autosacre des Guignols

Ils n'avaient jamais été aussi drôles, aussi inventifs, qu'au cours de leur soirée anniversaire. Mais quelle suffisance!
«Vous me voyez inquiet? ? Peut-être que vous feriez bien de l'être un peu?», rétorqua drôlement Michel Field à Claude Allègre. Mais le ministre ne se vit pas comme un homme politique en difficulté. C'est un scientifique qui voit avec angoisse l'école de la République sombrer et qui a l'ambitieux projet d'entamer sa résurrection. Les réformes qu'il propose sont-elles adaptées aux temps nouveaux, je ne saurais en juger. Le sûr est qu'entre lui et le corps enseignant le malentendu est complet. On ne parle pas de la même chose? Certains en sont à dénoncer «la privatisation de l'école»! Tel saint Sébastien, Claude Allègre a encaissé, impavide, les flèches à lui adressées, pour les retirer une à une de sa vaste poitrine. Griefs faux, faux, faux. Pour le profane, il était convaincant? Reste que si la diplomatie entre un jour au programme du bac, Claude Allègre pourra utilement retourner à l'école. «Les gens n'attaquent pas Canal+ parce qu'ils n'ont pas envie de foutre leur carrière en l'air?», dit l'un des Guignols pendant la séquence nombriliste précédant leur soirée anniversaire. Cette belle suffisance provoquait illico l'envie de les égratigner. Mais la suite fut si savoureuse que ce sera pour une autre fois. Donc, une douzaine des célèbres marionnettes furent cette fois les interprètes d'une comédie désopilante : un matin, les huiles de la République se réveillent dans une ville morte. Pas un passant, pas une voiture. «Les gens» ont disparu. Tous. Angoisse, panique, supputations, délibérations? Jamais le personnage de Jacques Chirac, poussé au désespoir, ne fut plus drôle, rarement il y eut pendant une heure d'affilée plus d'invention dans la dérision. Un vrai régal. Dans leurs débuts, Françoise Sagan, pour ne citer qu'elle, a fait procès aux Guignols. D'autres, en revanche, leur cirent les bottes pour entrer dans leur ménagerie. Une consécration qu'il ne faut pas souhaiter à son pire ennemi. «Hitler a déshonoré l'antisémitisme», selon Georges Bernanos. Est-ce à dire qu'avant il était honorable? C'est sans doute ce que pensaient, comme l'écrivain, les fonctionnaires de Vichy qui ont ravitaillé Auschwitz en enfants juifs. Cependant, il y eut aussi 20000 à 30000petits sauvés par de braves gens qui les cachèrent sous de faux noms. Raphaël Delpart a retrouvé quelques-uns de ces rescapés, aujourd'hui sexagénaires, et les a fait parler. Ils n'ont jamais revu leur père, leur mère? Ils ont encore des cauchemars. Ils sont encore traumatisés. Une femme dit : «Après la guerre, on nous a dit : Vous avez sauvé votre peau. Maintenant, ne la ramenez pas."» Une autre : «J'ai pris la décision de ne jamais mettre un enfant juif au monde.» Un homme : «Je vis avec la peur au ventre.» Un autre : «Quand j'entre dans un lieu fermé, je repère tout de suite s'il y a une autre sortie.» Qu'ajouter à cela? (France2) Après un scandale en Allemagne et deux en Grande-Bretagne sur des chaînes réputées, de nouvelles affaires de bidonnage ont surgi en France, en particulier une histoire de gendarmes, dans «Reportages», émission à grande audience. Bidonner, c'est mentir, truquer, tricher. A l'issue d'un «Arrêt sur images» houleux, où Robert Namias, directeur de l'information à TF1, vint défendre avec talent l'indéfendable, Daniel Schneidermann lui mit perfidement sous les yeux un reportage récemment diffusé par Jean-Pierre Pernaut à 13heures pour montrer une école de Marseille saccagée. Puis, on a revu ledit reportage, utilisé par le même il y a deux ans. «Ce n'est pas bien, dit Robert Namias, ce n'est pas bien.» Non, ce n'est pas bien. Le bidonneur allemand, lui, est en prison pour quatre ans. On n'en demande pas tant. Seulement un peu de respect pour le spectateur qui a la faiblesse de croire ce qu'il voit. L'image ment, elle ment énormément. F. G. "

Jeudi, février 25, 1999
Le Nouvel Observateur