Remaniement gouvernemental. FG donne sa perception du rôle de la télévision : y voit un « agent de la crise » et non « un pur miroir de l'actualité ». Mène à une réflexion sur les problèmes de communication.
Jacques Delors dans le rôle du preux chevalier, Michel Jobert traversant la scène en troisième couteau, Pierre Mauroy en Arlésienne, la France dans son emploi de prédilection — l'innocente victime de féroces Teutons... C'est un fameux feuilleton à suspense que nous ont servi, pendant quelques jours d'affilée, les journaux télévisés.
A côté de ce qui se passait à Bruxelles et dans les coulisses de l'Elysée, les joueurs sanguinolents de France-Galles semblaient avoir disputé une partie de croquet.
Si dramatique était le sujet du feuilleton, si incertaine la conclusion de son épisode monétaire, si suspendu à celui-ci son épisode-remaniement que les émissions annexes en parurent fatalement pâles. Dans le climat de tension aiguë, diffusée de journal en journal par le petit écran, difficile, dimanche, de s'intéresser puissamment aux camionneurs bulgares d'A.2, aux maquisards afghans de T.F.1, aux avis divergents sur l'oeuvre de Françoise Sagan sur F.R.3 (Notons tout de même, là, en passant, que Jérôme Garcin semble avoir maîtrisé la mosaïque de sa « Boîte aux lettres », où Bertrand Poirot-Delpech a sagement renoncé à se montrer décolleté.)
En revanche, on put constater une fois de plus que, dans les situations de crise, la télévision n'est pas un média innocent, pur miroir de l'actualité, mais un agent de la crise. Ainsi des « petites phrases » jetées par Jacques Delors en cours de négociation, et du talent particulier de simplification qui le fit apparaître comme le seul homme de gouvernement capable de parler clairement d'économie, sans avoir l'air d'oublier que celle-ci concerne aussi des êtres humains et pas seulement des chiffres. Ainsi des caméras en attente, braquées sur l'Elysée, donnant un sentiment de conciliabules mystérieux, de décisions reportées, d'atermoiements. Mais qui donc avait dit qu'un remaniement ministériel serait annoncé dimanche ? Le nombre de porte-parole bénévoles qui gravitent autour des palais nationaux gagnerait à être réduit jusqu'à extinction. Et quand donc l'Elysée aura-t-il un seul porte-parole autorisé, au lieu que l'on se demande toujours quand apparaîtra celui qui dira le contraire du précédent ? Ce n'est pas que ce fameux problème de communication avec le public via les médias soit facile à traiter et à résoudre. Dans ce que l'on a appelé l'art du cafouillage médiatique, les socialistes n'ont fait qu'imiter leurs prédécesseurs.
Sous le septennat de M. Giscard d'Estaing, il n'était question que de « cacophonie » gouvernementale, les ministres principaux passant le plus clair de leur temps à formuler des déclarations contradictoires dès qu'on leur tendait un micro, cacophonie à laquelle Raymond Barre ne mit fin qu'en expulsant les « politiques » du gouvernement et en leur substituant des fonctionnaires. Le président de la République était alors constamment soucieux d'observer que la politique du gouvernement n'était jamais expliquée convenablement à l'opinion, sauf par lui-même, et de trouver la cadence à laquelle il était bon qu'intervienne, à la télévision, le chef de l'Etat.
Non, ce n'est pas un problème simple, celui de la médiatisation de l'action gouvernementale, mais cela en fait partie, au même titre que la politique agricole ou étrangère. Aussi faut-il en avoir le souci permanent, en mettre en place l'organisation, exiger que s'y soumettent tous ceux qui participent à cette action, cabinets ministériels y compris.
Sur ce point-là aussi le moment était venu de siffler la fin de la récréation.
Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur
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