La vie en rose

Récit de trois meurtres sordides
LA VIE EN ROSE

Par Françoise G1R0UD

Après la semaine qui vient de se dérouler aux 2 assises et en correctionnelle ce pauvre Zola prend l'allure d'un auteur badin et François Mauriac fait la pige à la comtesse de Ségur.
Thérèse Raquin ? Une poupée. La Bête humaine ? Un sansonnet. Nana ? Une vierge. Les RougonMacquart ? Des Farfeluts

Depuis, nous avons fait beaucoup mieux, en fait de « tranches de vie ». Nous en serions plutôt à l'époque des « vies en tranches ».
Seulement, quelquefois les tranches se recollent... et ça donne M. Baron, le boucher ressuscité.
Il était cocu. Bon.
Sa femme, Marguerite, le trompait avec René, son meilleur ami. Rien de moins original.
Quand il partait sur sa moto, Marguerite soupirait :
— Si seulement il pouvait se casser la gueule, ça arrangerait tout....
Ce sont desehôses que tout le monde a pensé, depuis Clytemnestre.
Mais comme Baron s'obstinait, avec un inqualifiable manque de tact, à ne pas casser ce que sa femme nommait si gentiment, on l'a peu aidé. Quoi de plus banal ?

Pour se débarrasser du raseur, Marguerite fit don à René de quelques, rasoirs.
Et, un soir, l'amant qui jusque-là avait fait seulement le bonheur de la femme, la belote du mari et les problèmes de la petite fille, se mit eh devoir de découper amicalement le boucher en rondelles, pendant que, pour couvrir d'éventuelles protestations, Marguerite ouvrait largement la radio dans la pièce voisine.
Mais le mari coriace n'était pas homme à se laisser mourir comme ça, fût-ce au son de La Danse macabre. Il résistait, le bougre !
— Il n'y a pas de Bon Dieu, se plaignait l'amant, comptant beaucoup sur l'assistance divine, dans son entreprise... Il n'y a pas de Bon Dieu, il faut que je te finisse (sic).
— Aie pitié de moi ! gémissait le mari. Pense à ma fille !
— Je l'adopterai ! répondit l'amant, toujours amical mais déjà ébranlé, puisque, après de nouvelles supplications, et malgré les : « Vasy René ! » de madame, qui sortait des rasoirs de toutes ses poches, il s'en fut, très amicalement, quérir un médecin.

Dès que le mari se porta bien, il se porta également partie civile. René ne lui a pas pardonné.
— Baron n'est pas gentil avec moi, dit-il aux jurés qui, suivant l'exemple de Baron, ont condamné René à vingt ans de travaux forcés et Marguerite à perpétuité.
L'histoire ne serait pas complète s'il n'y avait pas, quelque part dans la maison encore toute ensanglantée, une petite fille qui a écrit à sa mère, en prison : « Méchante maman, je ne t'aimerai plus jamais ».

C'est aussi le manque de tact qui a perdu Esther, la fille des Frézard, paysans de Cernav- l'Eglise.
Esther, veuve avec un bébé, se permet de tomber malade. Maison de santé. Facture.
Facture ? Le père Frézard n'avait jamais eu de goût pour les factures. 11 vendit une vache pour régler celle-là.
Quand Esther retomba malade, il se dit, comme la femme du boucher :
— Si elle pouvait se casser la gueule, ça arrangerait tout.
Mais, plus délicat, il commença par l'endormir au gardénal, avèc l'aide de sa femme, avant de la jeter au fond du puits.
Entre une fille et une vache, quel est l'homme de bon sens qui hésiterait ?

On nous a fait également le coup de la vieille mère.
Fréau, forçat évadé, vivait depuis 18 ans, honnête et paisible, en Amérique où il s'est marié ; il vient en France et se fait arrêter... parce qu'il avait voulu revoir sa vieille mère.
Quand il a été acquitté, tout le monde a approuvé le jugement.
Sauf le substitut, qui fait appel au minimum ; mesure qui provoque l'indignation générale.
C'est une histoire qui pourrait donner à penser, si l'on avait le temps de penser à autre chose qu'aux élections italiennes, au statut de Trieste et à ce que nous cache ce « Bidault de fer » (le mot n'est pas moi, mais j'ignore le nom de l'auteur. Pardon, monsieur !)
Avant de condamner un homme, il faudrait peutêtre se demander ce qu'on pensera de son crime vingt après.

Vingt ans après, je crois qu'on refuserait encore d'absoudre Marguerite Decarlini, qui a appliqué le principe du travail en série.
En dix ans, elle a expédié dans le monde dont on prétend, sans aucune preuve, qu'il est meilleur, une demi douzaine de gêneurs.
Deux avaient eu le tort de l'épouser. Les quatre autres étaient ses enfants. Et quand elle les avait assez vus, elle leur mijotait un bon petit plat à l'arsenic.
Aux assises de l'Ain, qui l'ont condamnée aux travaux forcés à perpétuité, le docteur Locard a révélé qu'on empoisonnait en France à une allure croissante. Autant de cas chaque semaine, en 1948, qu'en un an avant la guerre.
Et il ne faisait pas allusion aux empoisonneurs publics.

Mardi, octobre 29, 2013
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