Si on laisse faire ses amis, le symbole de la honte nationale se retrouvera au Panthéon
Pour jouir tranquillement de son quinquennat avant de le renouveler comme il en confie l'intention, Jacques Chirac a trouvé son anti-Juppé. Ce n'est pas un tribun ni un grand capitaine, personne ne se fera tuer pour M. Raffarin mais, dans la forme, il a bien réussi son examen de passage et, sur le fond, il a dessiné une politique conforme aux vœux de l'électorat droitier. C'est pour cela qu'il a été mis à Matignon, pas pour faire du «social». Aussi, le lui reprocher n'a aucun sens. D'ailleurs, il n'a plus d'opposition structurée, crédible, pour le contrer. La rue? Peut-être. Pour le moment, il avance dans du beurre. Si, sur sa lancée, il arrive à démanteler quelques forteresses, ce sera encore mieux. Mais là, on est dans la politique-fiction. Drôle de zèbre, cet Ardisson. Il peut être odieux, élever sur le pavois n'importe quel imposteur, il peut et il aime humilier mais il a un sens aigu du spectacle, du «coup» qui fait parler. Comment prolonger l'élargissement de Papon? En amenant des éléments nouveaux. Il a dégoté un monsieur très distingué, M. de Beaufort, famille de résistants, certains exécutés, ami fidèle de Papon. Si fidèle qu'il soutient une thèse cocasse : Maurice Papon est innocent de tout ce pour quoi il a été condamné. Et il attend avec confiance sa réhabilitation. Julien Dray, député PS, qui lui faisait face, a failli s'en étrangler. Autre témoin inattendu : Didier Schuller. Il a passé un mois en prison à côté de Papon. Ils ont fait promenade ensemble, un peu de conversation. Il confirme que Papon souffre d'?dème aux jambes et qu'il est ancré dans son attitude : il n'exprimera jamais des regrets ni ne présentera d'excuses. On peut supputer que, ne supportant pas son vrai visage, il l'a aboli. Il a refait son histoire. C'est un mécanisme psychologique assez banal. Que ce vieillard amnésique et arrogant meure en prison ou dans son lit, peu m'importe. Mais si on laisse faire ses amis, on retrouvera Maurice Papon, symbole de la honte nationale, au Panthéon! Selon un ancien de TF1, Alain Chaillou, qui consacre un petit livre à clef et au vitriol à son expérience de correspondant de la chaîne dans un nombre impressionnant de capitales, la rédaction en chef de la Une à Paris rejette tous les sujets étrangers qui ne sont pas au degré zéro de la télévision. Motif, la dernière fois : «L'Allemagne, c'est chiant, ça ne fait bander personne.» Chaillou cite une dizaine d'exemples similaires, quel que soit le pays concerné. Mais si la Une est la plus pauvre sur l'international, le spectateur peut constater que les élections allemandes ont été traitées largement par LCI, qui diffuse de surcroît chaque soir à 19 h 35 un précieux journal du monde. Pourtant LCI est aussi une chaîne Bouygues. Mais il semble que, dans la maison, on ne se rencontre jamais, même dans l'ascenseur. Pourvu que ça dure. Que de flèches pour accueillir l'ouvrage de Sylviane Agacinski! Que lui reproche-t-on au juste? De publier alors que Lionel Jospin se tait obstinément. Or c'est lui que l'on espérait entendre pour mieux le déchirer. Ou le comprendre. Mais elle est une personne libre, autonome, et non un instrument dans la stratégie de son mari, s'il en a une. Ces pages sont en effet d'une femme qui a écrit sans prendre de posture, sans précaution, sans ménager personne, ni la presse, ni la gauche qu'elle étrille. A la limite, c'est un exercice thérapeutique pour en finir avec une méchante blessure. En face d'Edwy Plenel, sur LCI, elle était belle, rieuse, batailleuse, un peu effarée seulement de tout ce ramdam. Autre diariste, autre style : Anne Sinclair, qui n'a rien perdu de son éclat. Elle était chez Marc-Olivier Fogiel. Présentant, elle aussi, son «Journal de campagne», mais très professionnel celui-là, riche d'informations, non partisan, elle a eu avec son grand rire et son esprit de repartie un abattage d'enfer. Les participants à cette émission rient toujours énormément mais sans que l'on saisisse toujours pourquoi. C'est troublant. Quelquefois, on se sent de trop en leur compagnie (France 3). F. G.
Jeudi, octobre 3, 2002
Le Nouvel Observateur