Et Lionel Jospin m'annonça que les impôts baisseraient pour tout le monde sauf pour moi. Ah, cette France plus éprise d'égalité que de justice...
Mélo méli mélo... Cette «Victoire» qui déroule ses angoisses sur France 2, est une sorte de concentré de mélo : situations, sentiments, pathétique de Marie Trintignant belle sur toutes les faces. Mais quoi! C'est la vie qui est un mélo dès qu'on la regarde sous le nez. Comment en tenir rigueur aux auteurs de cette série, puisqu'ils ont pris le parti de raconter la douleur d'être une jeune fille dans les années 40, une jeune femme plus tard, et de la raconter au premier degré, sans aucune licence poétique, ironique ou lyrique. L'histoire de Victoire, devenue chirurgien des hôpitaux après de tristes aventures, avance donc sur de gros sabots mais non sans efficacité. C'est probablement une bonne chose de rappeler comment les femmes étaient encore traitées il y a trente ans. Les femmes d'aujourd'hui que Michel Field avait réunies dans «la Marche du siècle» étaient sympathiques, variées, bon écho sonore de la rengaine du moment : comment concilier vie professionnelle et enfant. Il y a quelques siècles que la question se pose, mais quand les femmes travaillaient à la terre ou à l'usine, tout le monde s'en foutait. Aujourd'hui, au moins, on s'en inquiète. Concrètement, ce dont elles sont dramatiquement privées, outre de moyens de garde, c'est de temps. Courir, toujours courir. Les 35heures devraient apporter de ce côté-là un soulagement. Intervenant en dernière minute. Philippe Sollers fit judicieusement remarquer que, tout au long de l'émission, il n'avait été question que de travail et d'enfants. «C'est très bien , dit-il, mais une femme, c'est peut-être autre chose aussi.» Dans une conversation entre femmes, il faut souvent qu'une voix d'homme s'élève pour que le rêve reprenne ses droits. Enfin j'allais voir ça! Une baisse de l'impôt! Contribuable consciencieuse depuis mon premier salaire ? il y a soixante-huit ans ? j'allais enfin être récompensée de mon indéfectible loyauté. Souvent, on m'avait alertée : «Achetez une cabane en Irlande comme X ou G. Les Irlandais sont très civilisés, ils exemptent d'impôts les écrivains et les artistes. Il suffit d'avoir un pied chez eux.» J'avais protesté, choquée. Une autre fois, on me conseilla les Pays-Bas. Puis la Grande-Bretagne. Mais ces démarches me paraissaient être celles de la désertion. Une année où j'avais beaucoup publié, le matraquage fiscal assorti de toutes les fioritures que l'on a connues depuis a été tel cependant que j'en ai été écœurée. Je croyais être un écrivain, traduite dans beaucoup de pays. J'étais une vache à lait. Quant à me mettre dans un pré, j'aurais été mieux en Irlande! Et puis la lumière fut : le Premier ministre m'annonça que j'allais payer moins d'impôts. Disposition purement symbolique sans doute mais j'allais en être moralement réconfortée. Je l'écoute. Baisse pour tout le monde, sauf pour la dernière tranche des contribuables. Sinon, on reprocherait au gouvernement d'engraisser les sybarites de la nation. Un coup à démoraliser Billancourt, comme disait Sartre. Les gens ne supporteraient pas. Je ne me suis pas seulement senti négligée, mais montrée du doigt. Désignée à l'opprobre. Pénétrer dans la tranche fatale à cause d'un succès de librairie par exemple est un incident déplorable dont on doit avoir honte. Sinon, pourquoi vous punirait-on? Soit. Ainsi va la France, éprise d'égalité plus que de justice, dit Tocqueville, il faut faire avec. Aucun gouvernant ne peut l'ignorer. Lionel Jospin non plus. A propos, plus de 130000 jeunes gens auraient quitté le pays, et pas les plus manchots. C'est le plus grand exode qu'ait connu la France depuis celui des protestants au XVIIIe siècle. On sait combien il fut désastreux. Canal+ a fait un gros effort, aménagé tout un appartement au fouillis vaguement oriental, multiplié les caméras pour recevoir familièrement Florence Parly, secrétaire d'Etat au Budget. Il s'agissait d'une émission nouvelle dont l'esprit n'est pas encore bien défini. On se cherche, en ce moment, à Canal. Tranquille, avenante, Florence Parly est difficile à déstabiliser. Ses mots, elle les pèse et, là où elle est, elle a intérêt. Un couple désassorti mais plutôt agréable l'interrogeait, essayant tous les genres, un peu d'insolence, un peu de familiarité, un peu de complicité, Florence Parly n'a pas cédé trois centimètres de terrain. Interroger, voyez-vous, c'est un métier subtil qui n'est pas encore, semble-t-il, celui de cette nouvelle équipe. F. G.
Jeudi, mars 23, 2000
Le Nouvel Observateur