Surtout, ne pas sous-estimer cette bête de guerre. Tous ceux qui l'ont fait, il les a étendus
Des incidents techniques m'ont imposé un son déformé pendant quelques jours, situation inconfortable pour observer le petit écran. Saisi au vol, cependant, lors de la rituelle cérémonie de miss France, Robert Sabatier, ce sympathique (jusque-là) académicien Goncourt, déclarant : «Pour décider de la gagnante, il faudrait pouvoir l'essayer!» L'essayer? De dos ou de face? En levrette ou à la missionnaire? Il n'y a pas eu une voix pour réagir, dans ce lot de pucelles régionales? Prêtes pour la casserole. C'était peu de chose à côté d'une actualité bouillonnante perçue dans un brouillard de chuintements. Nice d'abord. Ce sommet européen, aurait-il été le même si les partenaires allemand et français avaient été Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing, ou Helmut Kohl et François Mitterrand? Est-ce que, toutes choses à part, il n'y a pas un déficit de statures humaines qui affecte l'Europe? Déjà, l'Europe unie a toujours été un produit de la raison, sans paillettes, sans strass, sans le fard grisant de l'utopie; ses pères fondateurs n'ont jamais promis le paradis sur terre à personne, ni l'égalité des biens et revenus, ni l'éradication de la souffrance sociale. L'Europe n'a jamais véhiculé des illusions mirobolantes, changer l'homme, supprimer l'argent : c'est pourquoi, d'ailleurs, elle n'a jamais mobilisé les foules, enflammé les cœurs. Elle n'a proposé que la paix, réalisé que du progrès, lent, certain, mais difficile à mettre en œuvre à plusieurs. Alors, il faudrait au moins que les hommes qui la portent le fassent avec une flamme si possible communicative, une conviction, une envergure capables de transcender le caractère réaliste de l'Europe, son manque originel d'utopie. Au lieu de quoi ils apparaissent en représentants de commerce. Tout cela n'est pas simple mais il ne faut pas se décourager. C'est une formidable question, le rôle de l'Utopie, cette soif humaine obstinée sans cesse reproduite à travers les siècles jusqu'à ce que la dernière se fracasse sur le mur de Berlin. Mais aujourd'hui, déjà, des petits groupes cherchent frénétiquement l'utopie de substitution qui va, espère-t-on, rallier des troupes, rajeunir les mots d'ordre, illuminer l'horizon. La longue histoire de l'Utopie depuis Platon, déjà communitariste, et Thomas More en passant par Babeuf, Fourier et les autres est rapportée dans un ouvrage lumineux qui porte ce titre. Il est signé Yolande Dilas Rocherieu (Robert Laffont). De l'avantage d'être privée de son : on a le temps de plonger dans des livres érudits. On ne saurait trop recommander celui-ci. Les numéros parallèles alternés des deux Américains, l'élu et le battu, c'était épatant. «Je remercie Dieu, ma femme et mon chien, bénis soient les Etats-Unis, amen.» Le jargon religieux est familier là-bas. On oublie toujours que l'Amérique est un pays religieux. Qu'est-ce qui leur a pris pour se vautrer, comme ça, dans une débauche de juridisme? La situation s'y prêtait. Les prévisions qui fleurissent sur l'avenir paraissent hasardeuses. Les Américains peuvent avoir tout oublié dans trois mois, ou n'avoir rien oublié dans quatre ans. En tout cas, tant que M. Alan Greenspan, président de la Fed, sera là, c'est lui qui est aux fourneaux. Jacques Chirac : de deux choses l'une. Ou il dit le vrai quand il assure avoir tout ignoré du système des marchés. Ou il dit le faux. Entre ces deux hypothèses, c'est la justice qui doit pouvoir trancher. D'ici là, on ne peut pas reprocher au président de vouloir calmer le jeu médiatique en train de s'emballer. Il l'a fait, m'a-t-il semblé, avec grande habileté. Le piège que Jacques Chirac a tendu dans sa carrière à tous ses adversaires, c'est qu'ils l'ont toujours, tous, sous-estimé, Chaban, Giscard, Balladur. Jusqu'à ce qu'il les étende. Ensuite, on oublie quelle bête de guerre il est. On écrit des livres sur sa médiocrité. Là, brièvement, ses ressources ont brillé. Le «je ne peux pas y croire» est une perle. Les tours de l'acrobate ont-ils rassuré? Il n'y a pas de crise morale, il n'y a pas de crise politique, dit-il. Il n'y a rien. Bonne nuit les petits. Décembre oblige, Bernard Pivot nous a menés à travers ce qu'il appelle des livres de plaisir, albums illustrés sur beaux papiers, promenade franco-française. Les bons vins. La grande cuisine. Le fameux livre de recettes d'Alexandre Dumas. Mais aussi les petites femmes de Wolinski, l'intraitable Agrippine de Claire Bretécher, les chats de Balthus. Surprenant : les bandes dessinées de Pétillon, collaborateur du «Canard», sur les Corses. On suppose qu'il ne sort plus qu'avec des gardes du corps.F. G.
Jeudi, décembre 21, 2000
Le Nouvel Observateur