Les décisions des spécialistes sur la vache folle sont biaisées par le souvenir du sang contaminé
Toute cette histoire de vache folle rappelle fatalement l'affaire du sang contaminé. C'est pour cela qu'elle sécrète la panique, comment ne pas le comprendre même si l'on se refuse à y céder? D'autant plus que, manifestement, on ne sait pas grand-chose ni sur les origines de la maladie ni sur les conditions de sa transmission. Dans ce climat, annoncer qu'il faut s'attendre à voir les cas se multiplier n'est sûrement pas ce que la secrétaire d'Etat à la Santé, Mme Gillot, avait de plus intelligent à faire. Mais tout le monde perd un peu la tête, en ce moment, y compris en haut lieu. L'enquête magistrale d'«Edition spéciale» sur l'affaire du sang telle qu'elle s'est déroulée dans tous les pays apportait une lumière glaçante sur son étendue. D'un côté l'argent, les industriels qui vendaient froidement du sang empoisonné dans le monde entier, de l'autre côté, l'aveuglement des spécialistes qui ne voulaient pas le savoir, sida connais pas. A voir cette enquête implacable, il était impossible de ne pas se demander : est-ce qu'il y a quelque chose comme ça derrière la vache folle? Des intérêts? Lesquels? Ce qu'il y a sûrement, ce sont des hommes dont les décisions sont biaisées par le souvenir du sang contaminé. Peur de la décision. Peur de se tromper. Peur d'être un jour traîné devant un tribunal. Peur d'en faire trop. Ou pas assez. Sinistre histoire. Aucun thriller n'était de taille à rivaliser ces jours-ci avec la non-élection américaine. Non que l'on se sente vraiment concerné, mais on a ses têtes, ses antipathies. Le petit Bush, porté d'une main de fer par sa mère, joli sourire de voyou bien né, a trop de morts sur la conscience. Et puis ce frère gouverneur de Floride, l'Etat où, comme par hasard, il a fallu recompter les bulletins. Al Gore proposait un programme plus sympathique avec une absence de charme remarquable. Mais on savait qu'avec un électorat coupé en deux ni l'un ni l'autre n'aurait la possibilité d'appliquer son programme. Tout cela faisait un peu pagaille pour la république impériale. Quand un ordre sera revenu, n'importe lequel, vendredi nous annonce-t-on, viendra le moment de mesurer jusqu'où les Américains ont été ébranlés par cette comédie. Coup d'?il en arrière de William Karel, excellent documentariste, sur «les hommes du président». Il s'agit des conseillers dont John Kennedy s'était entouré à la Maison-Blanche, «the best and the brightest», les meilleurs et les plus brillants. Avec lui, ils ont vécu la Baie des Cochons, la crise des missiles soviétiques à Cuba, l'enlisement au Vietnam. Kennedy respectait McNamara, ministre de la Défense, parce qu'il lisait Teilhard de Chardin. Après la guerre, McNamara confessera : «Nous nous sommes conduits comme des amateurs.» Si c'est ainsi que se conduisent «les meilleurs et les plus brillants», président y compris, où faut-il prendre ceux qui, dans le fameux bureau Ovale, définissent la politique de la nation? Si ternes et gaffeurs qu'ils soient, Bush ou Gore ne seront pas forcément pires. De toute façon, le patron des Etats-Unis, c'est Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale. L'héroïne du Goncourt, Ingrid Caven, a été la femme du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder pendant deux ans. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'on la rencontre au long du document à lui consacré. On ne l'imaginait pas comme ça, vaguement mutine. Mais peu importe. Ce qui compte, ici, c'est lui, les passions qu'il inspire, hommes et femmes confondus, l'autorité qu'il exerce, l'admiration qu'il suscite, son règne absolu sur le petit groupe d'acteurs et de techniciens qui travaillent avec lui («l'antiteater» ). Il est homosexuel à ses heures, il dit : «Je suis contre l'Etat, contre le mariage, contre la guerre», ce qui n'est pas excessivement original, mais il exerce une véritable fascination. Le magnétisme ne s'explique pas plus qu'il ne se montre. Les gros plans de Fassbinder sont d'un homme quelconque, plutôt laid. Mais une force l'habite. Après les succès (Cannes en 1978) et les grosses voitures, est venu le temps de la drogue. Il en a usé et abusé, comme des garçons. De temps en temps, l'un se suicide. On en retrouve un autre le corps criblé de brûlures de cigarette. Fassbinder avait l'habitude de s'endormir devant sa télévision allumée. C'est là qu'on l'a découvert, mort, à 37 ans. C'était un très grand talent. «Je suis arrivé au bon endroit au bon moment», disait-il. Peut-être est-il aussi parti au bon moment. F. G.
Jeudi, novembre 16, 2000
Le Nouvel Observateur