La mélancolie du généraliste

La Sécu, si précieuse par ailleurs, a miné la considération que chacun avait pour « le docteur »
Yves Saint Laurent ne pouvait se retirer qu'avec élégance. Les quelques mots qu'il a prononcés devant les caméras pour annoncer son geste étaient sobres, justes, parfaitement coupés, comme ses tailleurs. C'est un grand dommage pour la France qu'il sorte de scène. C'est une tristesse pour ceux qui l'aiment et qui l'ont soutenu dans sa prestigieuse carrière depuis le jour où il est apparu, petit prince timide riche de tous les dons. On était heureuse, habillée par Yves Saint Laurent, jamais déguisée. Tout ce qu'une robe peut faire pour une femme, il savait le faire, tout le contraire de ce qui advient trop souvent aujourd'hui. Dans un métier qui n'est pas un art mais qui doit être fait par un artiste, selon sa propre formule, Yves Saint Laurent laissera l'empreinte profonde d'un souverain dans sa technique, inspiré et généreux. Un de ses collaborateurs a dit : « On l'aimait. Vous connaissez beaucoup de maisons où on aime le patron ? » Cet hommage-là en vaut bien un autre. Tandis que les uns se défonçaient pour que, du côté de l'euro, « ça marche », les médecins généralistes étaient en grève. En les observant de chaîne en chaîne, on voyait bien qu'ils n'aimaient pas cela, refuser des soins, ce qui est contraire à leur vocation élémentaire. Mais le syndrome du gendarme a gagné tous ceux qui, à tort ou à raison, s'estiment mal payés et en manque de considération. Cela fait beaucoup de monde. La mélancolie du généraliste a de bonnes raisons. La plupart travaillent plus de 55 heures par semaine. Ils sont médiocrement rémunérés, on les dérange une fois sur deux pour peu de chose, parfois la nuit? Pourquoi hésiterait-on à les déranger ? A consulter ? C'est la Sécu qui paie. La Sécurité sociale, si précieuse par ailleurs, c'est ce qui a miné la considération que chacun avait autrefois pour « le docteur ». Remboursé, le don d'argent n'existe plus. Symboliquement, le médecin a inéluctablement perdu de sa valeur. Chacun ne vaut qu'à la mesure de ce qu'il vous coûte. Concrètement, le généraliste devrait être rémunéré comme un spécialiste, évidemment, à condition qu'il passe un certificat approprié en fin d'études, comme un pédiatre ou un cardiologue. Cela viendra forcément. Elisabeth Guigou l'a pratiquement annoncé au cours d'un « Grand Jury » (LCI) où elle s'est battue comme la petite chèvre de M. Seguin, dégonflant quelques idées reçues. Mais Pierre-Luc Séguillon n'a pas réussi à la croquer. Elle connaît ses dossiers, ses chiffres et, surtout, elle a la foi. Elle est fière de ce qu'a fait le gouvernement depuis cinq ans sur le plan social, elle le dit, elle a raison. Osera-t-on suggérer au chef de l'Etat qu'il écarte sa lampe à bronzer ? Passé un certain âge, le hâle présidentiel mis à la mode par John Kennedy vieillit plus qu'il ne flatte, à la télévision. A part cela, il ne s'est pas foulé pour son allocution ! « L'Ange bleu », exhumé par Arte, est un incunable du cinéma, le premier Marlene, le premier Sternberg. Dans quel état allait-on le retrouver ? Il résiste à l'outrage du temps. Son interprète, Emil Jannings, célèbre en son époque, en fait une tonne, l'histoire est celle de dix, vingt, cinquante films, pièces, livres, puisqu'elle conte la ruine d'un homme, le professeur Unrat, ensorcelé par une femme jusqu'à la déchéance. Mais ici, la femme, Lola, chanteuse de cabaret, c'est Marlene Dietrich à l'aube de sa carrière, sobre, moderne dans son jeu, pulpeuse. Elle n'est pas encore sophistiquée comme elle le sera plus tard, molaires arrachées pour lui creuser les joues. Déambulant avec ses jupes relevées sur ses jarretelles, elle est seulement suprêmement désirable et chante en allemand, d'une voix qui n'est pas encore dans la tessiture grave qu'elle adoptera plus tard, le fameux « Falling in Love Again ». Elle est sublime. Drôle, la notule consacrée par « Télérama » à « l'Ange bleu », qui se termine ainsi : « Marlene reste debout, vaille que vaille, figure de proue solidement campée sur ses jambes dont la nudité replète allait lui ouvrir les portes de Hollywood. » Replètes, les jambes de Marlene ? On en souhaite de pareilles à toutes les collaboratrices de cet excellent journal. « Fabio Montale » sur la Une : un polar bien ficelé, cela se laisse toujours regarder, et Alain Delon a toujours de beaux yeux. Mais pour qui n'a pas lu les romans de Jean-Claude Izzo dont le téléfilm s'inspire, c'est un polar de plus, sans odeur ni saveur particulières. D'où la consternation des fanatiques de « Fabio Montale ». Ils ne retrouvent rien ou presque de ce qui fait la séduction de leur héros, fils d'immigré, flic de gauche résolument, sensible, déchiré, rebelle. Attachant, quoi ! Izzo est mort et ne peut plus protester. Soupirent également ceux qui se souviennent des films policiers de Melville avec Delon comme interprète, « le Samouraï », « le Cercle rouge », « Un flic ». Ce Fabio Montale ne boxe pas dans la même catégorie. F. G.

Jeudi, janvier 10, 2002
Le Nouvel Observateur