Chapeau : Quand j'ai vu l'animateur faire le zouave sur le «Charles-de-Gaulle», j'ai pensé à Mme Drucker qui téléphonait à son fils en pleine émission pour lui dire : «Arrête...»
La tête que 2003 passe pour dire : «Je suis là et, quoi qu'il arrive, il y aura une année 2003», cette tête n'est pas engageante. On devrait avoir le droit de sauter certaines années, mais cela n'a pas été prévu dans les plans du Créateur, alors inutile de bouder, entrons dans le programme imposé qui s'ouvre sur une première terrifiante : un bébé cloné. Comme un veau. Les Américains sont capables de mener deux guerres en même temps, a prévenu Donald Rumsfeld, secrétaire d'Etat à la Défense. Avertissement à la Corée du Nord en train de jouer avec le feu atomique. Nous, que ferons-nous pendant ce temps-là? Nous nous étriperons à propos des retraites. Une bonne nouvelle cependant pour un jeune Français sur deux : «Star Academy», ce n'est pas fini. Tout ce qui a entre 15 et 25 ans et rêve de devenir au moins Patricia Kaas ou Julien Clerc peut garder l'espoir. Une nouvelle compétition aura lieu en février, nous dit-on. Et il y aura encore une fois deux gagnants, distingués par le public, couverts de bienfaits, c'est-à-dire d'un gros chèque, d'un contrat avec une maison de disques, munis d'une forte notoriété. Tout le problème ensuite sera de l'entretenir, c'est si fugace, la notoriété. Mais l'industrie du disque est une telle dévoreuse de talents qu'il est beau d'y avoir un pied. Le second, ce sera plus dur. «Star Academy» réunit des audiences massives en montrant les petites histoires qui accompagnent l'entraînement des candidats. Il y a dans la jeunesse identification avec les compétiteurs, c'est évident? Vous voyez d'autres modèles à lui proposer? Par un hasard de programmation, M6 et Arte ont diffusé en même temps une émission sur le même principe, chacune dans l'esprit de la chaîne. Il s'agissait d'un spectacle réalisé avec des non-professionnels. Sur M6, cela donnait cinq filles qui se trémoussaient, pour lesquelles le mot d'amateur est très au-dessous de la vérité. Sur Arte, c'est une Allemande géniale, Pina Bausch, qui a voulu reprendre l'une de ses chorégraphies fétiches, «Kontakthof», créé en 1978, avec un groupe de sexagénaires n'ayant aucune expérience de la scène. 120 femmes et 30 hommes ont répondu à une petite annonce de recrutement. Elle en a retenu 25. Le résultat est extraordinaire. L'actualité n'a pas renoncé un seul jour à sa ration de cadavres. On a beau s'habituer, il y a des moments où l'on y est plus sensible qu'à d'autres, à cause du climat «de fêtes» et, à Paris en tout cas, de la somptuosité des illuminations. Un film bref et terrible, diffusé par Arte, aura remis, pour tous ceux qui l'ont vu, les pendules à l'heure. Il s'agissait de la Tchétchénie. Un bout de terrain vague, des ruines et, courant sur ce terrain, hurlant, un petit garçon tchétchène qui appelle au secours; il donne en criant son adresse, l'image est intense, saisissante. On n'en saura pas davantage. Les enfants sont volés. Pour les récupérer, on doit les racheter. Les Russes font tout ce qui leur plaît mais ils ont peur : alors ils tirent les premiers. Poutine est exécré. André Glucksmann rappelle ce que le Premier ministre russe a répondu à un journaliste : «Allez vous faire circoncire et je veillerai à donner des instructions pour que cela ne repousse pas!» Cette réplique le hérisse. Il y a de quoi. La très longue apparition du pape parlant aux fidèles depuis Rome était impressionnante, frêle carcasse tordue de douleur habitée par une énergie qui semble incoercible. On l'entendait mal, on saisissait furtivement son regard mais on restait, fasciné, devant ce rayon de lumière. J'aime beaucoup Michel Drucker, depuis longtemps. Mais quand je l'ai vu faire le zouave sur le «Charles-de-Gaulle», le porte-avions qui ne sert à rien mais qui a la charge impossible de faire vibrer la fibre patriotique exténuée des Français, quand j'ai vu cela, j'ai failli faire ce que la mère de Michel faisait de son vivant. Elle lui téléphonait en cours d'émission pour lui dire : «Arrête, tu ne dois pas faire ça!» C'était une vieille dame épatante. Enfin, «24 Heures chrono» m'a clouée sur mon fauteuil jusqu'aux petites heures du matin. Ce n'est jamais qu'un thriller à rebondissements, dont l'originalité réside d'abord dans le tournage, d'une virtuosité captivante. De suspense en suspense, on ne peut pas décoller. La série a été conçue pour que plusieurs épisodes de 42 minutes, tournés en temps réel, soient vus d'une traite. C'est ainsi que Canal l'a présentée deux soirs de suite, sans intermède publicitaire. Mais si! Une nuit originale, assurément, qui démode furieusement «Navarro». F. G.
Jeudi, janvier 2, 2003
Le Nouvel Observateur