Moins consommer, moins rouler, rétrécir ses besoins, intellectuellement, chacun en comprend la nécessité. De là à le faire...
Est-ce si grave que votes et abstentions mêlés aient légitimé un pouvoir sans limite ? Chacun le dit, même un historien de droite renommé, Nicolas Baverez, dans les colonnes du « Figaro Magazine ». Que dit M. Baverez ? « La gauche n'étant pas en mesure de contrarier les projets du président et de son gouvernement, les réactions de la société seront d'autant plus vives avec un risque de mouvements sociaux violents. » Mais que dire du pouvoir sans pouvoir ? Cette impression que les gens aux commandes n'ont prise sur rien, que la volonté politique se délaie dans les rouages des administrations, s'épuise contre l'immunité des grands intérêts particuliers, qu'ils sont au sens propre impuissants à changer le cours des choses, qui ne l'a, pour son compte, ressentie avec rage parfois ? Le pouvoir sans pouvoir, dégénérescence de la démocratie, finit toujours mal? Cette fois, tout commande à Jacques Chirac, Moïse sauvé des eaux, de restaurer autorité et capacité de gouverner. Le grave serait qu'il n'y arrive pas. Faut-il craindre que cela s'accompagne de dérive autoritaire ? Plagiant de Gaulle, Jacques Chirac pourrait dire : « Ce n'est pas à 70 ans qu'on devient dictateur. » Quant à M. Raffarin, son premier exécutant, il y a du Pinay dans cet homme-là. Antoine Pinay, l'homme politique le plus durablement populaire de France sous la IVe République, auquel Raffarin ressemble fort par son côté « Voyez comme je suis simple », Antoine Pinay était un tanneur de Saint-Chamond qui débuta fort tard en politique au poste modeste de sous-secrétaire d'Etat et se retrouva, en 1952, chef du gouvernement, à l'étonnement général. Quelques semaines après, on parlait de « la magie Pinay ». Si tous les crocodiles qui tournent autour de Chirac avec leurs longues mâchoires en vue de la succession lui laissent vie, M. Raffarin a peut-être de l'avenir. Les résultats qui défilaient sur l'écran pendant la soirée électorale étaient un peu mélancoliques, compensés par ceux de François Hollande, réélu, d'Elisabeth Guigou, Jack Lang, obstinés à reconquérir un siège. Quel métier que la politique, où il faut perpétuellement être non seulement aimé mais préféré ! Et ce Chevènement-Iago, député de Belfort depuis 1973, réélu sans interruption, qui se fait éjecter par les électeurs socialistes ! Ce doit être la meilleure nouvelle que Lionel Jospin a entendue depuis longtemps ! Bon échange, dans « Mots croisés », entre Laurent Fabius et Philippe Douste-Blazy, très bon même, le second ayant manifestement beaucoup travaillé pour maîtriser des sujets qui ne sont pas dans sa culture d'origine, celle d'un cardiologue. De sorte qu'il n'a pas été ridicule en face de Laurent Fabius. Retraite, fiscalité, etc., ils ont discuté pied à pied. Puis Nicolas Hulot fut invité à les interpeller. En disant simplement ce qui attend selon lui notre planète, sans effet oratoire mais avec une passion à peine contenue, il a jeté l'effroi. Le malheur, c'est que, pour parer au désastre, tout ce que l'on recommande se place sous le signe moins. Moins consommer, moins rouler, rétrécir ses besoins, son confort. Intellectuellement, chacun le comprend, même s'il n'est pas persuadé de l'efficacité de ces restrictions. On peut toujours essayer. Mais la nature de l'homme ne sera jamais de faire « moins », d'avoir « moins », elle le pousse toujours vers « plus ». Renverser cet instinct fondamental n'est pas le moindre obstacle auquel se heurtent tous les Nicolas Hulot du monde, prophètes de la fin de la Terre (France 2). En Israël, un kamikaze rate son coup et se blesse sans tuer. Il est interrogé, étendu sur une civière (LCI). C'est un beau jeune homme brun. Pourquoi a-t-il voulu se sacrifier ? Il répond qu'il aurait ainsi acquis soixante-dix années d'indulgences du Ciel pour tous les membres de sa famille, et que, quant à lui, soixante-dix vierges l'attendaient au paradis. Il faut entendre cela de ses oreilles. Le football, assez larmoyé. Il y aura une nouvelle Coupe du Monde dans quatre ans, il faut tenter de la gagner, et pourquoi pas ? Cette fois, les héros étaient fatigués. Et comment peut-on l'emporter dans une compétition si dure, qui exige une telle volonté, un tel engagement physique et moral, si l'on n'a pas l'impression de jouer sa vie ? Trop d'argent, trop de confort, trop d'adulation, trop d'assurance venue avec le succès sont les perfides ennemis de la « gagne ». F. G.
Jeudi, juin 20, 2002
Le Nouvel Observateur