Sur la non progression de la situation algérienne depuis le référendum de septembre 1958
Il s'agit de savoir si le général de Gaulle et le gouvernement ont autant d'autorité le 8 mars qu'en janvier dernier. Le 8 mars, on attendra de vous de savoir si vous approuvez mes idées sur la réforme des institutions et l'Algérie... »
Ainsi, M. Jacques Soustelle, ouvrant la campagne électorale, s'adressait-il mardi dernier aux Lyonnais. Ceux-ci lui ont répondu en lui retirant plus de 22.000 voix (et non 12.000 comme certains journaux, dont « L'Humanité », l'ont écrit) sur les 55.000 que l'U.N.R. avait recueillies en novembre.
Spectaculaire à Lyon en raison de la personnalité de M. Soustelle, le coup de semonce a été aussi brutal dans la Côte-d'Or, dans la Haute-Garonne, dans l'Isère, dans la Loire, dans le Nord...
Que l'on appelle pudiquement ce phénomène un « tassement » des voix U.N.R., ou « l'adhésion confirmée à la politique de Gaulle », que l'on en fasse « l'échec de la réaction » ou que 85 voix gagnées dans le 18e arrondissement conduisent le secrétaire général de l'U.N.R., qui passe cependant pour savoir compter, à interpréter l'ensemble des résultats comme « un accroissement des voix » dont il se sent tout encouragé, c'est là un petit exercice de terminologie sans grand intérêt. Les alliances soudain conclues entre le M.R.P. et les socialistes (à Arras) pour sauver M. Guy Mollet, et entre le M.R.P. et l'U.N.R. (au Mans) pour liquider M. Pineau, ne masqueront pas mieux le fond des choses.
Que s'est-il passé depuis le plébiscite de septembre ? On pourrait répondre : Rien. Et ce serait sans doute l'explication la plus valable.
Celle qui est couramment avancée n'est guère satisfaisante. On nous dit : « Les anciens combattants sont mécontents... l'austérité n'est jamais populaire... » Sans doute.
C'est une façon élégante d'indiquer qu'en novembre les électeurs ont été ou se sont volontairement dupés. Les uns ont cru que la guerre d'Algérie pourrait se poursuivre sans incidence économique. Les autres ont cru que la paix pourrait être rétablie par celui qui tenait son pouvoir des partisans de la guerre.
On peut dauber sur leur candeur. Mais pourquoi, fût-ce avec hypocrisie, faire entendre que les Français seraient en somme incapables de consentir le moindre sacrifice à une politique que, par ailleurs, ils approuveraient ? Les a-t-on consultés sur l'essentiel ? Jamais. Voter, depuis le 28 septembre — et Dieu sait que l'occasion ne nous en a pas manqué — n'a jamais signifié choisir entre deux voies, mais « faire confiance » au général de Gaulle.
Confiance faite, ceux qui comptaient sur lui pour faire la guerre sont déçus ; ceux qui comptaient sur lui pour faire la paix le sont encore bien davantage.
Alors, oui, les sacrifices d'ordre financier deviennents amers et pèsent sur les bulletins de vote.
Un autre aspect du résultat des élections a été évoqué. Non seulement le Sénat, dont les membres seront élus par les conseillers municipaux, pourrait avoir une autre coloration politique que la Chambre, mais si un conflit éclatait demain entre le président de la République et la majorité groupée derrière son premier ministre, sur la politique algérienne, la menace d'une dissolution ne serait sans doute pas sans effet.
Si l'U.N.R. avec de Gaulle « se tasse », qu'adviendrait-il, au cours de nouvelles élections, de l'U.N.R. sans de Gaulle ? On ne doit guère se faire d'illusions là-dessus chez les représentants de l'Algérie française.
Encore faudrait-il, pour s'en réjouir, croire que les forces que le général de Gaulle se refuse à affronter se situent au Parlement.
En fait, même aux heures de gloire de l'U.N.R., nul n'était en situation de lui résister. Mieux : Il y a toujours eu, au Parlement français, une majorité pour soutenir un gouvernement décidé a tenter le règlement du conflit algérien.
Quant à la reprise en main des troupes communistes par le parti, qui récupère son électorat au grand complet, elle figurera au catalogue des illusions perdues. Mais dans l'immédiat, ceux des électeurs communistes qui avaient voté U.N.R. sont infiniment moins dangereux, retour au bercail, que galvanisés par un nouveau Doriot. La fraction de l'électorat communiste allemand qui a voté pour Hitler ne lui a jamais fait défaut.
C'est la même que l'on peut retrouver, un jour, derrière l'un de ces « groupes d'études » qui germent ici et là, nés de l'inquiétude, de l'impatience, parfois du désespoir.
Les autres, voix gelées, risquent d'être plus pétrifiées encore dans la certitude qu'il n'y a « rien à faire... »
Ah ! si un déplacement des voix communistes s'était effectué, en 1958, au bénéfice de la gauche et, pour tout dire, des socialistes ! Mais on ne peut pas tout avoir : l'estime de « L'Aurore », les compliments d'Alger, les sourires du général de Gaulle, un portefeuille dans le même gouvernement que M. Soustelle, et la confiance de la classe ouvrière.
Devant les chiffres, et quel que soit l'art déployé pour les faire parler, il reste, une fois dissipées les brumes de novembre, une réalité : les électeurs ont donné, dans les treize grandes villes où jouait la représentation proportionnelle, 255 sièges à gauche (communistes, U.F.D., socialistes), 252 sièges à droite (indépendants, U.N.R. ), 30 sièges au M.R.P. et 30 aux radicaux.
La France, « immuable et changeante » selon Tocqueville, a donc remis ses pantoufles. Un pied gelé à gauche, un pied paralysé à droite, le tout bien au chaud, et une grande canne pour marcher. Ne pas croire que les pantoufles préservent d'enfiler un jour des bottes. Au contraire.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique