La lettre de ''L'Express''

Défaite aux élections d'arrondissement de certains hommes politiques puissants de la Ivème République, dont M. Bourgès6Maunoury
« Pendant quatre ans de gouvernement et d'efforts, j'ai été attaqué par cet hebdomadaire. (...) Cependant, il faut bien reconnaître que les conséquences du 13 mai ont pu apparaître comme justifiant à posteriori certaines des positions de L'Express et ceci peut être considéré comme regrettable... »
Qui écrit cela ? Le président Bourgès-Maunoury, au rédacteur en chef de L'Echo d'Oran. Tout à fait regrettable, en effet.
Que « le gouvernement et les efforts » de M. Bourgès-Maunoury, auxquels participèrent si activement M. Lacoste, M. Mollet, M. Chaban-Delmas, M. André Morice, M. Félix Gaillard — et j'en passe qui n'ont pas tous été battus dimanche aient abouti à l'explosion du 13 mai, que ces courageux, ces vigilants, ces clairvoyants républicains aient taillé eux-mêmes les verges avec lesquelles M. Soustelle va les fouetter, qu'ils aient choisi la torture, la calomnie, le mensonge pour alliés en prétendant défendre la France, l'armée et la démocratie, tout cela n'est pas regrettable. Non. Ce sont les inconvénients du métier.
Comme la défaite de M. Bourgès-Maunoury. Comme celle de M. Lacoste. Comme celle de M. Faure.
Que regretteraient-ils ? Ils ont été ministres, ils ont été présidents du Conseil. Qui sait? ils le seront peut-être encore !
En tout cas, ils le croient ; n'en doutez pas.
Que M. Soustelle fasse un signe, et ils accourront.
Mais que « certaines des positions de L'Express puissent apparaître comme justifiées » à la faveur de menus événements, voilà qui devient franchement fâcheux. M. Bourgès-Maunoury a trouvé le mot : c'est regrettable.
Pourtant, il faut lui rendre cette justice, il a fait ce qu'il a pu — et ses honorables collègues également — pour que ces positions demeurent connues seulement des services de police chargés de nous saisir, et des magistrats chargés de nous inculper.
Il a fait ce qu'il a pu — et ses honorables collègues également — pour nous ruiner, pour nous salir, pour nous déshonorer. Car l'urgent à ses yeux — et à ceux de ses honorables collègues également — n'était point d'empêcher que l'Algérie perde la France, mais d'empêcher que cela se sache.
Raté. Cela s'est su. Mal, dans la panique, dans la confusion, dans la peur qui ont engendré une nouvelle série d'équivoques, puis cette réaction brutale, comme aveugle, enregistrée dimanche, d'un pays qui se cogne la tête contre les murs de sa prison algérienne ; mais cela s'est su.
Voilà M. Bourgès-Maunoury battu. Et quelques-uns de ses honorables collègues également. « Seigneur, votre droite est terrible. »
Les hasards du scrutin d'arrondissement ont enfoncé les uns, rescapé les autres. Des sièges à ceux-là ? Plutôt des radeaux. De quoi flotter à la surface du nouveau régime.
Ils nous permettront de penser, ces princes déchus de la Quatrième, que cela est sans importance, sinon pour leur vie privée.
Si les malheurs du pays devenaient tels qu'il faille, comme en 1940, lui offrir quelques victimes expiatoires en holocauste, ils ne seront pas inquiétés. D'ailleurs, en vue du futur procès de Riom, leur défense est prête : « Pendant quatre ans, j'ai été attaqué par cet hebdomadaire...»
M. Soustelle leur en tiendra compte.
Alors, dans leur retraite, rédigeant leurs mémoires, M. Bourgès-Maunoury, et ses honorables collègues également, pourra écrire : « Il faut bien reconnaître que les conséquences des élections de novembre 1958 ont pu apparaître comme justifiant à postoriori certaines des positions de L'Express... »
Mille regrets.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express