La lettre de ''L'Express''

Revient sur les candidats en lice pour la prochaine élection législative. Désormais n'auront aucun rôle d'influence en tant que député sur l'action de de Gaulle.
Deux mille huit cent Français et Françaises aspirent à devenir, le 23 novembre, et pour cinq ans, les représentants du peuple français.
2.335 seront déçus dans leurs ambitions. C'est peu en regard des vingt millions d'électeurs qui le seront aussi.
Parmi tant de candidats pressés de se dévouer au bien public, il semblerait à première vue que chacun de nous trouve sans peine le sien. Cherchons.
Dans telle circonscription parisienne, qui n'apparaît pas comme exceptionnelle, les électeurs auront le choix entre un communiste, un mollettiste, un gaulliste de gauche, un duchettiste, un républicain d'union (?), un gaulliste de droite, un poujadiste et un fantaisiste.
Jusqu'à présent, il arrivait que les députés trahissent la confiance de leurs mandants en abandonnant, une fois élus, la défense du programme qu'ils s'étaient proposé d'appliquer. Du moins pouvait-on se donner l'illusion d'apporter son appui à la réalisation de tel ou tel programme.
Cette fois-ci, c'est, si l'on veut, plus honnête : la confusion commence avant les élections.
Prenons-les un à un. Le candidat communiste est cohérent. Il veut du neuf et propose l'établissement d'un régime communiste. Pour qui le souhaite, c'est clair. Pour qui ne situe pas là son idéal, c'est non moins clair. Passons au suivant.
Le candidat mollettiste n'est pas sectaire. Il a soutenu successivement, pour l'Algérie, la politique de M. Mendès France, puis la politique de M. Mollet, puis la politique de M. Lacoste, puis la politique du général Massu. Il en était hier à la politique du général de Gaulle. Pour quoi sera-t-il demain ?... Il serait peu poli de le lui demander.
Son programme ? Du neuf. Il faut du neuf. Mollet au pouvoir ! Comment votera-t-il, une fois au Parlement ? Comme M. Mollet. Et comment votera M. Mollet ? Horrible incertitude que ne dissipera pas la lecture scrupuleuse du « Journal officiel » et des organes intérieurs du parti depuis 1946.
« Son âme a son secret, son cœur a son mystère. »
Le candidat mollettiste, c'est la pochette-surprise. Passons au suivant.
Le gaulliste de gauche est bien honnête. La politique le dégoûte. C'est pour ça qu'il va en faire. Son programme ? Du neuf. Il faut du neuf. M. Pinay aux Finances, le général Salan au Gouvernement général, Ben Bella à la Santé, les crédits coupés à l'Education nationale, 200.000 étudiants reprenant cette semaine leurs cours dans des conditions proprement scandaleuses, M. de Sérigny candidat aux élections, M. Jacques Chevallier éliminé et M. André Morice pouponné par les pouvoirs, vous le sentez ce grand souffle de renouveau, ce vent de réforme hardi qui soulève la Ve République ? Vous ne le sentez pas ? C'est étrange. Le gaulliste de gauche se sent porté par lui. Le « système », c'était les autres. Du moment qu'il en fera partie, ce ne sera plus le système. C'est l'évidence même... Passons au suivant.
Le candidat duchettiste est pour l'intégration, le progrès social, et la diminution des impôts. Ou il y croit, à son programme, et c'est un homme dangereux. Ou il n'y croit pas et c'est... Passons au suivant.
C'est le gaulliste de droite. Signe particulier : il se veut de gauche. Son programme ? Le général avec nous. Quel général ? Chut. Son nom commence par un G. Vous voyez un peu de qui il s'agit ? Reste, évidemment, le poujadiste.
Il paraît que dans de nombreuses circonscriptions ils ont la chance d'avoir aussi un M.R.P. et un radical. Il y en a qui sont gâtés.
Bon. Passons à l'électeur. Enthousiaste, favorable, acquis ou résigné à l'omnipotence du général de Gaulle, il ne saura pas mieux qui déléguer au Parlement. Outre que le général n'a plus besoin de personne pour entrer à l'Elysée et pour y demeurer puissant et solitaire, un seul parti fut jamais vraiment le sien, l'Armée.
Alors, où se situe, pour l'électeur, le débat ? Il faut bien le constater : nulle part. Entre les huit ou dix candidats de chaque circonscription, il n'y a pas plus de débat politique qu'il n'y en aura au Parlement. Il y a une bagarre personnelle, parfois savoureuse, parfois pénible comme on en voit le matin à la porte de « France-soir » quand les sans-travail attendent la première édition pour se précipiter, les premiers, là où l'on offre de l'emploi.
Il n'est pas interdit à l'électeur cruel de s'en amuser, à l'électeur dévoué de soutenir un ami candidat, quelle que soit son étiquette, qui a envie de se prendre au sérieux, à l'électeur de gauche de se battre comme la petite chèvre de M. Séguin, s'il se trouve dans l'une des circonscriptions où se présente un candidat U.F.D.
Mais s'il s'agit d'exprimer une volonté politique, d'en désigner l'instrument et d'en espérer l'application, c'est là une ambition déplacée. Il fallait y penser plus tôt. Il faudra y penser plus tard.
Pour qui voudrait influencer aujourd'hui l'action du général de Gaulle et le choix qu'il fera d'un premier ministre — si tant est qu'il soit influençable — mieux vaut postuler un emploi de valet de chambre ou de barbier à l'Elysée.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express