Passage en France de la jeune reine d'Angleterre. Court répit sur les événements algériens.
Paris a vécu trois jours, avec bonne humeur et gentillesse, sous la monarchie.
Dans l'accueil réellement chaleureux qu'il a réservé à la petite reine consciencieuse dont la télévision révélait combien elle était à la fois appliquée et mal assurée, le public parisien mêla sans doute bien des sentiments confus.
Sur la scène du monde, deux vieux pays saignant par bien des blessures, se réchauffaient l'un l'autre et montraient aux jeunes peuples impatients comment on sait recevoir et être reçus quand on a à la fois deux mille ans de traditions et de bons techniciens de l'éclairage...
Dans le climat d'angoisse où les événements d'Algérie maintiennent la France, Paris pouvait s'accorder, avec bonne conscience, la halte d'un soupir....
Un peuple sensible à l'esthétique offre plus volontiers son cœur et ses hommages à une jeune femme gracieuse auréolée de diamants qu'à un gras monarque en jaquette.
La télévision, plaçant chacun au centre de chaque fête, supprimait la frontière entre les privilégiés et les autres, les privilégiés dépouillés par les caméras de leur mystère, devenant au contraire les acteurs parfois comiques d'un grand spectacle offert à tous.
Mais des divers sentiments qui précipitèrent les Parisiens par centaines de mille sur la place de l'Opéra (où ils étaient aussi gais que le public, dans la salle, était guindé) et, sur les rives de la Seine, le plus puissant était peut-être l'attrait de ce plaisir oublié : pouvoir, enfin, être « pour ».
Applaudir la reine d'Angleterre et son mari parce qu'ils sont jeunes et jolis, cela n'engage à rien, et surtout pas à se sentir un jour prochain effroyablement dupés...
Ils n'étaient le symbole d'aucune politique, les fourriers d'aucun emprunt, l'alibi d'aucune opération électorale, les responsables d'aucune défaite, les partisans d'aucune action...
Rien que les plus grandes vedettes du monde dans un film en technicolor.
Le film est terminé. Voilà revenue l'heure des Actualités.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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