Situation politique alors que le général de Gaulle a les pleins pouvoirs.
« Il y a ceci, il y a cela, mais je ne vous en parlerai pas, non, non. Parlons plutôt du chat de la voisine ! »
Ainsi chante, depuis quelques jours, Yves Montand, à la grande joie de la salle. Choisirons-nous aussi de ne plus considérer que le chat de la voisine ? Pas encore.
François Mauriac exprime cette semaine, dans son Bloc-notes, sa crainte de voir « dépiauter » le discours de Constantine par de sarcastiques exégètes. Comment ne pas lui donner raison ? Dans la position très particulière qu'occupe en ce moment le général de Gaulle, les paroles comptent peu. Seuls ceux qui attendaient de ce discours une justification de leur vote, quel qu'il fût, en auront été désappointés.
On voit bien que les mots sont là pour apaiser, pour panser, pour décrisper. Non pour signifier. S'ils atteignent leur but, qui peut être d'autoriser l'action plutôt que de l'annoncer, ils auront eu leur valeur.
S'ils remplacent l'action, nous entendrons encore beaucoup de discours pendant lesquels c'est le temps qui travaillera. Pour qui ? C'est une autre histoire. Elle n'a pas encore commencé.
Aujourd'hui, disposant à la fois du pouvoir absolu et du maximum d'audience, le général de Gaulle peut, pendant quelques semaines, parler pour ne rien dire sans que l'on ait à en tirer conclusion. Une conjoncture nouvelle s'est créée.
Trois attitudes sont maintenant possibles :
1. — Ce qu'il fait sera toujours bien fait, il n'a nul besoin de s'appuyer sur telle ou telle force politique ou de la craindre puisqu'il les dépasse toutes ; en sa personne se fondent jusqu'à disparaître toutes les différences
naturelles qui opposent, dans une société, ceux qui veulent « conserver » et ceux qui veulent « avancer ». Lieu géométrique où se retrouvent, d'accord, tous les Français et où se retrouveront bientôt tous les Africains, il constituera un miracle permanent et on n'explique pas un miracle. On essaye seulement de convaincre les derniers incrédules ; éventuellement, on se convertit.
2. — Tout ce que fait de Gaulle reste entaché du péché originel. Parce qu'il a été initialement imposé au pays, il faut mettre tous moyens en œuvre pour le saboter. Et tous les alliés sont bons : l'ambition de ceux qui voulaient le pouvoir — et non de Gaulle, les francisques qui se sont fait la tête d'une croix de Lorraine, les grands intérêts privés menacés, si l'intérêt public est réellement considéré même lorsqu'il s'agira d'avions, même lorsqu'il s'agira de coton, même lorsqu'il s'agira d'alcool ou du prix de l'essence en Algérie.
Le M.R.P., les communistes, la presse de droite ont ainsi saboté, efficacement, en 1954, Pierre Mendès France. Périsse la République, périsse l'Afrique pour que je triomphe.
3. — Une machine est en marche que personne ne peut plus aujourd'hui écarter ; il ne reste plus qu'à essayer de la pousser dans la bonne voie. Si elle l'emprunte : marquer d'une pierre blanche chacune de ses étapes. Sinon, se dresser devant la machine au risque qu'elle vous écrase.
Laquelle de ces trois attitudes choisir ? On ne « choisit » pas une attitude dans de telles circonstances ; et quand bien même on le voudrait, le bout de l'oreille passerait. Il passe toujours.
Alors : ni miraculés ni saboteurs. Attentifs. Expressément attentifs.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique intérieure