La lettre de ''L'Express''

À quelques jours du vote, critique le choix éventuel par les électeurs de la tactique dans le vote
C'est un méchant tour que M. Mollet vient de jouer au général de Gaulle en rendant publique la lettre qu'il lui adressa le 25 mai.
Ainsi — il l'écrit lui-même — M. Mollet ne se trouvait pas à Arras, au côté du général, lors de la libération de la ville. Ni à aucun autre moment d'ailleurs.
Le général croyait connaître M. Mollet. Il ne l'avait jamais vu. Il évoquait avec émotion, au cours de sa conférence de presse du 19 mai, les moments inoubliables qui les avaient réunis : « Du balcon de l'hôtel de ville d'Arras, j'ai parlé à la population réunie sur la vieille grand-place. Guy Mollet était à mes côtés. Cè sont des « choses qu'on n'oublie jamais. » On ne les oublie. pas.
Mais on les arrange un peu.
« C'est assez drôle. C'est à peine triste. Ce jour-là, l'émotion socialiste du général fit grand effet. C'était sans doute l'essentiel. L'incident indique seulement que comme tout homme politique, le général de Gaulle obéit parfois à des considérations tactiques.
M. Mollet a dû éprouver une joie forte à le faire savoir au moment où il abandonne son ami Lacoste pour soutenir, avec son ami Defferre, son ami de Gaulle. Mais à la veille d'un vote, on voudrait que les électeurs n'empruntent pas aux hommes politiques cette approche des problèmes auxquels ils seront confrontés.
La tactique dans l'action est sans doute un art nécessaire à un chef, à la condition du moins qu'elle soit l'instrument souple d'une pensée rigoureuse. La tactique dans un vote, nous avons vu au Parlement à quoi elle mène. Les députés gaullistes, entre autres, semblent avoir aisément oublié comment ils ont paralysé, par tactique, la IVe avant de la dépecer.
Pour l'électeur isolé, solitaire, l'acte de vote n'a de sens que s'il retrouve sa grandeur. La tactique est une gangrène dans le corps de la démocratie. Un régime ne peut être fondé que sur la force de quelques-uns ou sur la morale de tous. Qui abdique la morale est bon pour la force.
Face à son bulletin de vote, chacun devrait se sentir aussi responsable que si, de sa seule voix, dépendait l'issue de la consultation. C'est ce qu'on appelle voter en conscience. Il n'y a pas d'autre façon de se montrer digne de ce privilège : n'être dans une consultation électorale ni plus ni moins qu'un autre. Egal.
Jamais sans doute un vote n'aura été plus difficile à émettre en conscience que celui du 28 septembre. Jamais les viscères des électeurs n'auront été plus outrageusement sollicités à la place de leur raison. Jamais le sens d'un vote n'aura été plus ambigu et ses lendemains plus ténébreux.
Le « oui, mais... » n'est autorisé qu'aux leaders politiques.
Les électeurs n'auront pas droit, eux, à cette pirouette. Heureusement. Il ne suffit pas d'aimer la démocratie, encore faut-il la mériter.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express