La lettre de ''L'Express''

Dialogue imaginaire où perce une forte charge critique contre Félix Gaillard, accusé d'être lâche. Double langage, jeux sur les mots.
Vous souvenez-vous d'une époque où un jeune ministre des Finances parlant haut mettait le poing sur la table et son portefeuille dans la balance pour défendre, devant le Conseil des ministres, ses convictions ?
— Certes. Il s'appelait... Voyons, aidez-moi... Il s'appelait...
— Félix Gaillard.
— C'est ça. Gaillard. Un homme, celui-là ! Qu'est-ce qu'il est devenu ?
— Hélas !
— Quoi ? Un accident !
— Pire. Une maladie.
— Grave ?
— De l'avis général, incurable. On a découvert qu'il était invertébré.
— Invertébré ! Mais quelle horreur !
— N'est-ce pas ?
— Si jeune et invertébré ! Je ne puis y croire.
— Le diagnostic est formel. Ce sont les Indépendants qui viennent de le formuler, et en ces propres termes.
— Le pauvre homme !
— Remarquez qu'au début, cela lui a rendu de grands services. Il a pu ramper par-ci, ramper par-là, s'enrouler autour des uns, se plier au gré des autres sans jamais se rompre les os. Quand il passait, on chuchotait : « Regardez, plus souple qu'Edgar Faure ! »
— Diable ! Une liane !...
— Et toujours le sourire, avec ça ! Le courage avec
lequel cet homme a accepté les conséquences de sa terrible affection, et le parti qu'il a su en tirer ne doivent pas être sous-estimés.
— Et pour le tennis, ça ne le gêne pas trop ?
— Non. De ce côté-là, il se défend toujours.
— Peut-être qu'un nouveau régime, des vacances...
— Il va les avoir. Mais maintenant que la vérité sur son état a été brutalement révélée, l'opération semble inévitable. Ses amis Indépendants ont déclaré leur intention de le « vertébrer ».
— Chirurgie ?
— Plâtre d'abord, pour l'immobiliser. L'organisme est fatigué.
— Le cœur est bon ?
— On se le demande. Vous n'avez pas entendu, dimanche ?
« L'Algérie est aussi chère à mon cœur que l'Alsace-Lorraine... » Comme cela était dit. Le souffle court, la voix éteinte,.. Il y avait du Laniel dans cet homme-là.
— Les reins ?
— Oh ! solides !
— La tête ?
— Froide.
— L'estomac ?
— Tout comme s'il n'en avait jamais eu.
— Alors je suis tranquille... Il s'en sortira.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express