Suite à la publication des écrits de Léon Blum sur de Gaulle, met en cause les faiblesses et carences des hommes politiques qui mènent à l'arrivée d'un homme qui s'achemine vers le pouvoir personnel ?
Écrits il a y plus de dix ans, les textes de Léon Blum consacrés au général de Gaulle, et publiés aujourd'hui, ont une résonance véritablement dramatique.
La résistance du vieux chef démocrate à toutes les formes du pouvoir personnel, le constat d'échec qu'il dresse de l'exercice de ce pouvoir, sa foi dans le régime parlementaire tout imparfait qu'il soit, et en même temps cette prescience du désespoir qui pourrait conduire la France à se tourner une nouvelle fois vers « l'homme de la libération morale », tout ce qui divise en eux-mêmes les ennemis sincères — et non les défenseurs professionnels d'intérêts privés — d'une prise de pouvoir par le général de Gaulle est contenu dans ces fragments d'une œuvre forte et toujours noble.
A la lire, on oscille entre la rage et l'angoisse. Rage devant le résultat du gâchis où les partis en général et celui de Léon Blum en premier ont enfoncé le pays, en trahissant à la fois le grand espoir né de la Libération, leur doctrine et leurs électeurs ; angoisse devant les causes profondes de cette trahison.
Bien sûr, il est confortable de penser avec des si.
Si M. Edgar Faure avait eu le courage de soutenir Gilbert Grand val, la Tunisie et le Maroc en seraient à évoluer harmonieusement de l'autonomie interne à l'indépendance. Si M. Guy Mollet avait eu le courage, ou simplement le sang-froid, d'accorder ses actes avec sa pensée le 6 février 1956, l'Algérie serait partie pacifique d'une confédération maghrébine en construction.
Si M. Jacques Soustelle avait trouvé l'occasion de voir le feu entre 1940 et 1944, le spectacle de corps mutilés n'eût pas soudain ébranlé sa sensibilité au point de transformer ce Compagnon de la Libération en Compagnon de la Répression.
Si M. Mendès France n'avait pu dire, comme Clemenceau à Salernes : « Contre moi la meute a donné tout entière d'une rage inouïe... Les soupçons les plus odieux, les attaques quotidiennes, les insultes et les outrages, voilà de nos jours la vie des hommes politiques à qui l'on fait l'honneur de les redouter... ».
Si M. Robert Lacoste n'était pas un roseau peint en
fer, accablé sous le poids d'une tâche qui dépasse ses moyens et ses forces...
Si M. Félix Gaillard avait eu l'énergie de gouverner en fonction de ses opinions, si M. Paul Reynaud était monté à la tribune du Parlement pour dire publiquement ce qu'il exprime si clairement en privé, si certains directeurs de journaux ne préféraient perdre l'Afrique du Nord plutôt que dix abonnés...
Bien sûr.
Mais si ces faiblesses, ces carences individuelles n'étaient que les symptômes, les signes visibles d'une sorte de mortelle leucémie de la classe dirigeante consécutive à trop de saignées, à trop de douleurs, à trop de déchirements infligés à la France depuis cinquante ans ?
Il est facile et en quelque sorte réconfortant d'accabler les hommes. Cela donne à penser qu'en les changeant, quelque chose changerait. Ainsi les malades changent-ils de médecin.
Le général de Gaulle serait-il capable de refaire le sang de la France et de lui rendre ses globules rouges ? Tant de cellules saines, vivaces, actives, ne demandent qu'à être irriguées...
Ou ne saurait-il que farder une société épuisée du rose de la fièvre ?
Françoise Giroud
P. S. — « L'Express » a été saisi, une nouvelle fois, la semaine dernière en Algérie, par M. Robert Lacoste. Motif officiel : « Nous n'avons pas d'explication à vous donner ». (En fait : le « Bloc-notes » de François Mauriac.)
« France-Observateur » a été saisi la semaine dernière dans toute la France par M. Bourgès-Maunoury pour la quatrième fois en un an. Motif officiel : pas d'explication. Raison officieuse : il est inconvenant de comparer les bourreaux d'Henri Alleg aux SS.
Le lendemain, M. Jean Dides donnait, lui, candidement, le vrai motif de ces saisies : il ne saurait faire confiance à un gouvernement assez faible pour tolérer l'existence d'une presse libre, libre du pouvoir de l'argent comme du pouvoir tout court.
La confiance de M. Dides... Il doit être assez pénible d'avoir à la solliciter. Il est pire encore de la mériter.