Sur les premières réponses des jeunes gens sollicités par l'enquête de L'Express sur la jeunesse
De hautes piles d'enveloppes closes s'alignent, courrier après courrier. Ce sont les réponses qui parviennent, par milliers, au questionnaire diffusé à travers toute la France depuis que « L'Express » a entrepris, avec le concours de l'Institut Français d'Opinion Publique, une enquête à l'échelle nationale sur ce que pensent, ce que veulent, ce qu'espèrent, ce que refusent les sept millions de jeunes hommes et de jeunes femmes entre 18 et 30 ans qui composent « La Nouvelle Vague ».
Humbles écritures appliquées, graphismes dépouillés ou courbes redondantes, mais toujours écrites à cœur ouvert, c'est au cœur que les réponses frappent d'abord.
Une lettre prise au hasard, et c'est tout un personnage qui, en quelques lignes, se dessine, avec son décor, son climat, et presque son physique, c'est un pan de vie humaine qui surgit de l'ombre où l'on a coutume de laisser s'ensevelir
« les autres ».
Ces milliers de personnages qui peuplent soudain notre existence ne composent encore que quelques pièces du puzzle gigantesque que nous essayons de reconstituer. Les cas individuels que nous avons soumis à la réflexion de nos lecteurs ont été choisis, jusqu'à présent, non en raison de leur intérêt exceptionnel, mais, au contraire, dans la mesure même où ils traduisaient la pensée d'un grand nombre de correspondants. Ils conservent cependant, nous y insistons, une valeur indicative limitée.
Est-ce 58 ou 98 % des jeunes Français qui crient leur désespoir de ne pas pouvoir se loger décemment ? L'I.F.O.P. seul nous le dira. Nous savons seulement aujourd'hui qu'il y en a beaucoup, qu'il y en a trop. Au point que la notion de « privilège » semble toute ramassée dans cette formule : avoir ou n'avoir pas « une chambre à soi ».
Ils se montrent, tous, semble-t-il, fils de 1789. Pour un marxiste, capable d'analyser à partir de sa philosophie l'absurde de la notion de liberté appliquée à des hommes aliénés dans leur tâche ou leurs croyances, il semble qu'il y ait dix mille amants fervents de la liberté inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme, liberté dont ils sont profondément certains de jouir.
Un pour dix mille ? Peut-être est-ce dix pour mille... Et déjà, leur poids serait sensible, une autre coloration teinterait l'ensemble de la jeunesse.
Ce qui s'échappe, à coup sûr, de toutes ces enveloppes, ce sont de jeunes vies où l'espoir est encore à la fois vif et diffus, où l'amour a autant d'importance pour les hommes que pour les femmes et où les premiers tranchent en faveur de la fidélité réciproque absolue — ce qui suffirait à trahir leur âge — tandis que les secondes, du fond d'une antique résignation, la préconisent sans trop y croire.
De jeunes vies où le couple semble être l'imparfait mais suprême refuge contre un monde trop dur pour l'affronter seul ; de jeunes vies où l'on se sent, très humble devant des problèmes trop vastes, et où l'on se replie, solitaire plutôt que solidaire, vaguement conscient cependant de participer à l'un des grands virages que prend l'humanité.
Mais qu'ils sont donc sages, ces enfants de la France délirante du Palais-Bourbon. Sages et sceptiques. Sages et heureux de vivre dans leur pays, tout en considérant que « tout va mal ».
Refaire le monde, ils n'y songent guère. Refaire la société, ils ne sont pas contre... Que d'autres s'en chargent, et ils apprécieront.
Pour une poignée qui se sent grande à défoncer les cieux et qui demande âprement « de la poudre et des balles », plus une raison de s'en servir, que de jeunes hommes, que de jeunes femmes qui n'osent, qui ne savent, qui ne veulent plus croire ni aux dieux ni aux diables. Et surtout pas au sens que prendrait le sacrifice de leur vie.
Peut-être est-ce là ce que l'on appelle des civilisés...
Ne nous hâtons pas de conclure. Cette semaine, quelques femmes ont la parole. La semaine prochaine, les hommes la reprendront. Ils ont encore tant à dire ! Et, miracle ! ils le disent bien.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société