Critique cinématographique élogieuse du film « Normandie-Niémen » retraçant la vie de l'escadrille française formée sur le sol russe durant la deuxième guerre mondiale.
On mange, on dort, on va au bureau, à l'usine, à l'atelier, on travaille, on revient du bureau, on se collette avec une déclaration d'impôts, on secoue une grippe, on se tracasse pour les enfants, on appelle cela vivre, et on vit en effet. Pour quoi faire ? Son salut ? Cela aurait un sens. Ne le trouve pas qui veut.
Heureusement, il y a pour les uns le verre d'alcool, pour les autres la télévision, pour d'autres encore les comics, ou les cartes, ou la vitesse, ou les tranquillisants. Il y a le bruit, le bruit incessant. Transistors et juke boxes, avec ça l'Occident peut dormir tranquille. Pas une minute à soi pour se demander ce qui fait courir Sammy, et si l'on peut vivre sans Dieu lorsqu'on refuse de vivre pour les hommes.
Et vous croyez, vous, que ça va durer longtemps ?
Que va-t-il advenir à la longue de ce mol Occident, où Dieu est mort, si aucune entreprise collective constructive n'est proposée à la foi, au courage, à la persévérance de ceux qui composent les nations dites évoluées ?
C'est la question qui vous assaille en sortant de la salle où l'on projette en ce moment le film réalisé à la gloire de la fameuse escadrille française formée sur le sol russe, « Normandie-Niémen ».
À l'origine, peut-être parce qu'ils étaient Français, ils représentaient moins un groupe qu'un agglomérat de quinze individus turbulents, qui avaient refusé, chacun pour son compte, Vichy, la défaite, la démission, la tête sous la cendre. Chacun voulait « descendre son Frisé », le plus grand nombre possible de Frisés. Mais « on t'apprendra ici qu'une mission remplie, c'est plus important qu'une victoire personnelle », dit un ancien à un nouveau, en l'accueillant sur le sol soviétique.
Et parce que tous surent l'apprendre et se fondre en une collectivité humaine disciplinée, ils furent efficaces et, d'une certaine façon, heureux.
La paix revenue, dans quelle tâche engouffrer les facultés d'enthousiasme et de ténacité des survivants? L'un d'eux, François de Geoffre, a crié ici, il y a quelques mois, son désespoir. C'est que, pour accueillir sa ferveur, son courage, il n'a trouvé en Occident aucune structure. Pas la moindre cathédrale à bâtir. Pourtant, il savait s'intégrer. Il l'a prouvé. Mais s'intégrer à quoi ? A l'Armée ? Dans quel but ?
Les vertus de la plupart de ces « héros » n'étaient pas des vertus militaires. Leur action des années 40 n'était pas celle de soldats dociles aux ordres jusque dans le sacrifice de leur vie. Leur combat était le fruit d'une libre option, leur ennemi. Celui qu'ils s'étaient reconnu et eux-mêmes désigné, leur lutte une aventure personnelle bien insérée dans une aventure collective.
C'est pourquoi le film qui leur est consacré est beau, c'est pourquoi, au-delà de la guerre, il touche à l'essentiel qui est de savoir pourquoi, contre quoi et avec qui l'on se bat, non par contrainte, mais par choix.
La réponse à ces trois questions, chacun ne peut aujourd'hui espérer la trouver qu'en soi. Alors seulement il devient facile de se répéter, comme le lieutenant de « Normandie-Niémen » : « Notre boulot, c'est remplir une mission, revenir vivant, et recommencer. »
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
Cinéma