Sur les atrocités algériennes qui se perpétuent.
Vendredi, Noël ?
Allons donc !... Noël est l'anniversaire de Dieu. Certains peuvent l'entendre autrement, et se réjouir seulement de donner ou de recevoir des présents à date fixe... Alors, pourquoi pas le 25 décembre ?...
Mais ceux qui, au nom de la foi chrétienne, prétendent cette semaine célébrer la naissance du Seigneur, comment s'arrangeront-ils de l'avoir d'abord crucifié ?
« Car, en vérité, je vous le dis, c'est à moi-même que vous l'avez fait... ».
Plaise à leur confesseur de les absoudre. Les coupables ne sont peut-être pas ceux que l'on croit.
S'il existe aujourd'hui des cours de « torture humaine », si quatre officiers, interrogés la semaine dernière par « Témoignage chrétien », peuvent déclarer qu'on leur a donné « droit à l'eau et à l'électricité », que l'on peut « tout se permettre », que l'alternative devant laquelle se trouvent les jeunes gens du contingent est la suivante : mettre sa conscience temporairement en veilleuse et se pervertir, ou bien dire non et se faire broyer par la machine ; si l'un d'eux ose déclarer :
« A mon avis (et c'est peut-être grave ce que je vais dire), je crois que la responsabilité collective de l'armée d'Algérie est engagée dans le problème des tortures ».
Si de tels propos peuvent aujourd'hui être publiés, diffusés, lus, sans soulever la stupeur des uns et la fureur des autres ; si, en un mot, la torture est entrée dans nos mœurs au point que ceux qui la pratiquent, l'ordonnent, ou la tolèrent, ne craignent même plus d'en être accusés, à qui la faute ?
Souvenez-vous. C'était en avril 1957. Les premiers témoignages sur ce que l'on appelait alors pudiquement les « bavures » commençaient à surgir. Le général de Bollardière demandait, en guise de protestation, à être relevé de son commandement. M. Guy-Mollet gouvernait la France, M. René Coty, chef des armées, la présidait.
Qui fut blâmé ? Qui fut inculpé ? Qui fut accusé de démoraliser l'Armée ? Contre qui la presse, dans son ensemble, demanda-t-elle des sanctions et souleva-t-elle l'indignation de ses lecteurs ? A quelles fins fut créée la Commission de sauvegarde ?
« Elle n'aura pas seulement à connaître de l'éventuelle
réalité des abus signalés mais aussi du caractère calomnieux de certaines informations ».
( Communiqué publié à l'issue du Conseil des ministres, le 5 avril 1957.)
Les coupables étaient en même temps désignés à l'attention publique. « Chers professeurs », selon M. Bourgès-Maunoury, « exhibitionnistes du cœur et de l'intelligence », selon M. Lacoste...
Quant aux tortionnaires un instant alertés, ils surent bientôt qu'ils pouvaient torturer tranquilles. Ils avaient l'indulgence, sinon la caution, du gouvernement français et, il faut bien le dire puisque c'est vrai, de l'immense majorité de la presse française.
Cependant, M. Mollet déclarait que les exactions pouvaient se compter sur les doigts de la main... Bien qu'il n'ait jamais vu large, ce n'était pas entièrement faux. Et peut-être aurait-il suffi que cette main fût coupée pour que la gangrène ne gagnât pas le bras. L'opération ne fut même pas envisagée.
Enfin, de Gaulle vint, et en son nom M. Malraux nous assura que les choses allaient changer. Mieux : qu'elles avaient changé.
Bien qu'il ait toujours vu large, ce n'était pas entièrement faux. Il semble bien qu'il y ait eu un temps d'arrêt et que l'on ait craint un moment, là-bas, d'avoir à rendre à la Ve les comptes de la IVe.
Quelques exemples auraient peut-être suffi pour que la gangrène qui, déjà, rongeait le corps, n'atteigne pas la tête.
Aujourd'hui, c'est fait. En doutez-vous ? Lisez le document de « Témoignage chrétien » et ce terrible aveu de l'un des jeunes hommes interrogés : « A ma connaissance, aucun officier ne peut obtenir de sanction contre eux ». Eux : ceux qui pillent, ceux qui incendient, ceux qui violent, ceux qui mettent du bougnoul à la broche pour Noël comme d'autres mettent de la dinde : histoire de passer un bon moment.
Eux qui sont nos frères, nos fils, nos amis, eux dont nous avons permis qu'ils deviennent des enfants perdus.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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