Voyage de Krouchtchev aux Etats-Unis
L'ambition, l'intérêt, le désir de faire parler de moi, et je décidai la guerre...
Cette formule de Frédéric II, roi de Prusse, rapportée par l'historien anglais Macaulay, on ne peut se défendre d'y penser lorsque retentissent les échos de ce voyage au bout de la hargne qu'accomplit M. Krouchtchev aux États-Unis.
On pourrait, semble-t-il, la lui attribuer à une nuance près : « L'ambition, l'intérêt, le désir de faire parler de moi, et je décidai la paix ».
Si c'est bien le cas, peu importent-les violences de langage du Premier soviétique, les incantations du Cardinal Spellman et les incongruités du maire de Los Angeles.
Que le dialogue se déroule entre vaniteux intoxiqués, de part et d'autre, par quarante années de propagande mensongère, ou que deux grands hommes d'Etat s'y affrontent, c'est de l'anecdote.
L'important n'est pas ce qu'ils sont, mais ce qu'ils veulent.
Toute politique implique une idée de l'homme et une représentation du monde. S'il ressortait de ce voyage que les Etats-Unis et l'U.R.S.S. ont la même politique, il y aurait lieu de grandement s'inquiéter, car l'un des deux, au moins, serait insincère.
S'il apparaît au contraire que, des deux côtés, on a enregistré l'existence d'un certain nombre d'éléments incompatibles : dont les uns et les autres ne sauraient disparaître ni l'emporter alors on peut espérer.
Pour deux adversaires convaincus chacun de ne pouvoir ni convertir l'autre ni le détruire, quelle autre voie que la coexistence dans la paix ? Etant entendu - que la paix - n'est pas un état idyllique où l'on échange des baisers et
des bouquets, mais, une situation dans laquelle l'hostilité naturelle des hommes entre eux se traduit par des créations au lieu de se manifester par des destructions.
Au point où nous en sommes, on devrait pouvoir bien augurer de la suite des événements. Les Américains ont « vu le chameau et ont pu lui tirer la queue », selon l'image de M. Krouchtchev. Le chameau a vu « une nation placée sous le signe de Bien », selon le vocabulaire de M. Cabot Lodge.
Il n'y a plus guère de place pour les malentendus.
Aussi, ne devrait-on pas, en Occident, se garder de montrer, si clairement combien l'on redoute de voir MM. Eseinhower et Krouchtchev en arriver à se déclarer la paix ?
Quand certaines valeurs s'effondrent en Bourse à la seule perspective du dialogue américano-soviétique, quand des hommes d'affaires vous disent, calmement « Le désarmement ? Ce serait une belle catastrophe ! », on est tenté de penser avec Jaurès que « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage. ».
Sans doute les partisans de la guerre froide ont-ils de plus nobles arguments à opposer à une détente dans les relations entre les deux blocs, et à un désarmement progressif.
Il reste qu'aucune politique ne peut emporter plus largement l'adhésion des peuples que celle qui se donne pour objectif la conquête de la paix. Il faut être diplomate pour ne point le comprendre.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique étrangère