La jeunesse porteuse d'espoir
Rien de plus réconfortant qu'Alfred Sauvy. Rien de plus encourageant que la science où il est maître — la démographie —- quand il vous enseigne comme il le fait ici cette semaine, à en déchiffrer les signes. Ainsi, vivre tiraillés entre des oreillons et les vacances d'hiver, entre des examens manqués et les vacances d'été, trembler devant la poliomyélite, frémir devant la perspective de « l'enfant accident » que l'on ne saurait où loger, gémir devant ces pieds qui grandissent encore plus vite que les chaussures ne s'usent, compter les mois qui séparent encore un flls de la guerre ou ceux qui le ramèneront au foyer, ainsi tout cela n'est pas rigoureusement inutile ? Inutile pour la nation, s'entend.
Ce sont donc nos enfants qui, par leur nombre, lui rendront sa jeunesse. Et non nos aînés par leurs discours.
Il y a là un élément concret, positif, vérifiable d'optimisme. Il y a aussi une raison valable de travailler, de s'entêter à construire une société capable d'accueillir ces enfants, de les instruire, de les loger, de leur fournir du travail. Faute de quoi, d'une inéluctable poussée, ils feront tout sauter.
Voilà bien du pain sur la planche. Du vrai. Pour qui se sent encore la force de pétrir, la tâche est exaltante.
Dans la génération qui s'en va, certains ont, chacun pour soi, des raisons de s'enorgueillir. Collectivement, elle a fait un gigantesque fiasco dont elle a tout loisir de vérifier en ce moment les effets.
Mais la génération qui forme charnière entre celle qui part et celle qui vient pourra voir de ses yeux le résultat de ses efforts, si elle les accomplit. Les accomplira-t-elle ? Les accomplirons-nous ? Il y a longtemps, en tout cas, que d'aussi solides justifications d'agir ne nous ont été fournies.
Dans un écrit récent, Jean Cocteau adjure les nouveaux venus de comprendre que « la jeunesse est un privilège fragile et non pas une race robuste qui s'oppose à la race croulante des vieux ».
Il se fait ainsi l'écho de l'irritation, amusée ou solennelle que tout humain arrivé à maturité éprouve parfois devant l'assurance, la morgue, l'agitation, la faiblesse des jeunes gens. Entre un vieillard et un jeune homme, on peut choisir le vieillard, pour le plaisir de la conversation, ou pour puiser en lui, comme Kyo auprès du vieux Gisors de la « Condition Humaine », sagesse et sérénité.
Mais entre cinquante vieillards et cinquante jeunes gens, il y a tout ce qui sépare la nuit du jour.
Privilège fragile de l'individu, la jeunesse est bien, à l'échelle d'un pays, « une race robuste qui s'oppose à la race croulante des vieux ».
La sève de la nôtre commence à peine à irriguer la France. Ceux qui, parce qu'ils auront la supériorité du nombre, réinjecteront du dynamisme, de la force, de l'élan au pays sont encore des enfants ou des adolescents. Mais ils arrivent...
Alfred Sauvy nous en prévient : aussi polis soient-ils, pris un à un, ensemble ils ne déboucheront pas en rangs dociles pour se ranger à l'étroit dans la vieille boîte que nous occupons et que personne ne se soucie d'élargir.
Il y a des amateurs pour les contes de science-fiction. Qu'ils plongent donc dans ce conte de science-réalité. Ils y trouveront les meilleures raisons du monde pour se battre sur l'essentiel et pour laisser rêver les poètes sur les rives du passé.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société