Introduit l'entretien avec Aneurin Bevan, futur ministre socialiste des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, présent dans ce numéro. Informe sur les conditions de préparation à l'entretien.
La lettre de ''L'Express''
Lorsque Aneurin Bevan entre dans une pièce, les murs se rapprochent, le plafond descend, les hommes rapetissent et les verres de whisky viennent spontanément se glisser dans sa main que nulle manchette ne cerne. S'il s'habille à Londres, rien n'est moins évident.
Brique (le teint), argent (la chevelure) et bleu (les yeux), M. Bevan est immense, sans être très grand.
Son rire éclate, torrentiel ; il distribue les « Hello-o, my dear... » avec la majestueuse familiarité d'un souverain, puis, en trente secondes, il passe aux choses sérieuses.
« La seule chose qui me fatigue, dit-il, ce sont les bavardages. »
Aussi avions-nous soigneusement préparé l'entretien que nous lui avions demandé, lors d'un bref passage à Paris. C'est cet entretien qui dura, dimanche, de 15 heures à 18 h. 30, avec le futur ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, mais surtout avec un authentique chef socialiste, que nous publions dans ce numéro.
La technique en était assez délicate, car M. Bevan ne parle pas le français. Deux sténotypistes bilingues avaient donc été requises. Nous avions assez longuement débattu entre nous des questions qu'il conviendrait de poser à notre interlocuteur afin d'utiliser au mieux les trois heures dont nous disposions et de ne pas laisser la conversation s'égarer.
Chacun de ceux qui participaient à cet entretien, et plus particulièrement chacun de nous, a eu l'occasion de rencontrer les hommes politiques français et étrangers les plus notoires. Aussi sommes-nous moins faciles à impressionner que des crocodiles.
Mais Bevan, comme Bourguiba auquel il ressemble d'ailleurs par ce mélange d'astuce et d'idéalisme, est d'une dimension peu commune.
Il réfléchit avant de parler. Ce n'est pas courant. Il dit ce qu'il croit et non ce que d'autres lui ont fait croire. C'est rare. Et lorsqu'il parle, sa pensée se dévide harmonieusement, comme une pelote de belle laine rouge.
Aux brefs instants où le démagogue l'emporte sur l'homme d'Etat, on a envie de lui dire :
« Inutile, monsieur Bevan, nous ne sommes pas en réunion publique. N'usez pas votre belle laine à ces vilaines mailles. »
Après avoir librement parlé pendant plus de trois heures, M. Bevan (« Call me Nye ») a jugé inutile de prendre connaissance des quatre-vingts pages dactylographiées que représenterait l'enregistrement brut de ses propos avant d'en autoriser la publication.
« Je vous fais confiance, a-t-il dit, vous jugerez... »
Nous ne nous y sommes pas trompés. C'est en lui qu'Aneurin Bevan a confiance.
F. G.