La jambe de Chirac

Il a su les poignarder tous, sauf Mitterrand. Et on voudrait l'empêcher de se faire Jospin?
Après quarante ans de vie politique, Jacques Chirac laissera dans l'histoire une seule trace, celle d'une dissolution calamiteuse pour son camp. On comprend qu'il s'emploie ? passionnément ? à solliciter un rabiot, une petite tranche de cinq ans où il essaierait de montrer qu'il peut faire autre chose. La France, bonne fille, le lui accordera peut-être tant elle est habituée à avoir cet homme dans son lit. Depuis qu'il craint que le pouvoir ne lui glisse des mains, il marche appuyé sur deux béquilles, sa femme et sa fille, comme un roi de Shakespeare. Devant un PPDA aigu, attentif à souligner sa non-complaisance, le candidat n'était pas flambant, l'autre soir? Cette jambe aux soubresauts irrépressibles, qui agaçait tellement Pompidou et Mitterrand, il avait réussi, croyait-on, à la maîtriser. Un peu de trac et puis crac, les nerfs l'ont emporté. Mais il se bat, courageusement, c'est un guerrier, comme dit sa femme. C'est même un tueur. Pour dégager sa route depuis quarante ans vers l'Elysée, il a su poignarder successivement Chaban-Delmas, Giscard d'Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur? Il ne s'est cassé les dents que sur Mitterrand. Et on voudrait l'empêcher de se faire Jospin? Il en rit, quand il n'en a pas des sueurs froides. Se faire vider par les Français à 69 ans, soit sans espoir de revanche, à cause de? A cause de quoi, au fait? Ce n'est pas la peine de l'énoncer, tout le monde le sait, quelque chose d'impalpable, la confiance qui est partie en fumée, d'une manigance à l'autre jamais élucidée. Le rabiot sera dur à décrocher. Cruel, l'?il posé par François Ozon sur les femmes dans son film, «Huit Femmes», lancé avec une telle vigueur qu'on ne peut pas lui échapper. C'est un divertissement plaisant, qui se laisse voir grâce à la verve ébouriffante d'Isabelle Huppert, au charme pervers d'Emmanuelle Béart, à la présence de Danielle Darrieux qui n'a cessé d'être délicieuse depuis ses 14 ans... Etonne l'atonie des féministes de combat devant ces péronnelles. «Huit Femmes» est moins misogyne, cependant, que le film américain de George Cukor, «The Women» (1939) dont Ozon s'est inspiré, et surtout moins dur que «Chaos», le film superbe où Coline Serreau se faisait les griffes sur les hommes. Le cinéma : une façon très civilisée de se dire les uns aux autres, par films interposés, ses quatre vérités. Une femme impressionnante, que l'on voit un peu partout ces jours-ci (dans les informations et «Sept à huit» sur la Une, dimanche), Carla Del Ponte, la procureur au procès de Milosevic. On éprouve une sorte de volupté à la voir dire en face, et en français, à l'affreux bonhomme, le détail et l'abomination de ses crimes. Toute la douleur de cette tragédie que fut le Kosovo vous remonte à la gorge, avec quelques images dont l'atrocité laisse Milosevic impavide. Après des débuts inquiétants, Match TV ? diffusée sur le câble ? a fait une percée. L'association du savoir-faire de «Match», où l'on n'est pas manchot, et du professionnalisme de l'agence Capa en matière de télévision, a bien fonctionné dans une émission qui sera mensuelle. Cette fois, quelques bons sujets qui n'ont pas traîné partout, en particulier un reportage hallucinant sur Grozny, en Tchétchénie, où des enfants meurent de faim sous l'?il des caméras. C'est M. Poutine qui fait ça? Et on continue de lui serrer la main? Quelques très bonnes images d'Arafat, aussi, suivi par un lieutenant qui le surveille parce qu'il est devenu un peu gaffeur, et qui lui souffle : «Parlez de paix, parlez de paix?» Un homme d'affaires français, Jean Frydman, revient d'Israël où il a de forts liens. Avec un sourire désespéré, il dit : «J'ai vu deux vieillards aussi têtus l'un que l'autre qui n'ont jamais voulu la paix ni l'un ni l'autre, chacun n'ayant qu'un désir : chasser le peuple de l'autre. Il n'y a rien à faire!» Fragile espoir : la rébellion des officiers de réserve israéliens qui refusent de servir dans les territoires. S'ils recevaient un appui de la population, Sharon serait obligé d'en tenir compte. Les émissions politiques sont en panne. En panne d'acteurs. Les participants potentiels ont commencé à comprendre que «passer à la télé» n'est pas ce qui peut vous arriver de mieux, au contraire. Arlette Chabot a invité huit candidats déclarés à «Mots croisés». Cinq seulement sont venus. «Quand je serai président», sur France3, ne ramasse que des seconds couteaux pour débattre avec des «citoyens». Dans le camp des animateurs, on se désole. Dans celui des spectateurs, on se console. L'émission fourre-tout politique, quel ennui! F. G.

Jeudi, février 21, 2002
Le Nouvel Observateur