La guerre dans les yeux

Quand des femmes journalistes racontent leur relation avec la peur, le danger, l'excitation, la mort?
Les dieux du sport sourient à la France. Mary Pierce, si souvent agaçante avec son air de poule qui ne parvient pas à pondre son œuf, enlève Roland-Garros. Chapeau. A la première rencontre de l'Euro 2000, les Bleus mettent 3 buts à 0 aux Danois irascibles. Après quinze minutes de jeu, la suite n'était pas évidente. Mais peut-on perdre avec un tel quadrille d'attaquants? Le noir sied aux Bleus, c'est éclatant. On est un peu las de ces affaires de sectes, répétitives, gens malheureux et crédules embobinés dans de la spiritualité de bazar, arnaqués, etc. Mais l'histoire de la Soka-Gakkai japonaise est d'une autre envergure. 12millions d'adeptes dans 135 pays. Les adeptes sont les mêmes partout, ils prient et ils paient. Le reste est différent. Pas de décorum, de déguisements, un guide spirituel en complet-veston, M. Ikeda, qui possède le troisième quotidien du Japon, mène un parti politique et bénéficiait jusqu'en 1991 de la caution de l'ordre religieux bouddhiste Nichiren-shoshu. Caution retirée à la suite d'une condamnation de la Soka pour évasion fiscale. En France où elle possède deux châteaux, un centre européen à Marseille, la Soka aurait 10000 à 12000 adeptes. Qu'est-ce qui fait courir M. Ikeda? Le pouvoir, il l'aura, il a truffé de ses hommes la police, la justice, les Affaires étrangères. Danielle Mitterrand a fait «un bout de chemin» avec lui. Elle a accepté des dons pour sa fondation, et pourquoi les aurait-elle refusés? M.Ikeda lui a été présenté à l'ambassade de France. Et elle jure qu'elle n'est pour rien dans l'audience que plus tard François Mitterrand a accordée à M. Ikeda à l'Elysée. On aurait cru le Japonais plutôt en phase avec Berlusconi? Tout cela était dans «Envoyé spécial». La philosophie, tout le monde en a une teinture. La biologie, c'est plus rare. En confrontant la plus vieille marotte de l'homme, s'interroger sur soi dans le monde, à la plus pointue des sciences, les éditeurs de «Qu'est-ce que l'homme?» ont fait la part belle au biologiste Jean-Didier Vincent, qu'on dévore, tandis qu'on lit le philosophe Luc Ferry avec agrément. Face à face dans «le Monde des idées», les deux auteurs ont résumé leurs positions respectives. Donc, il s'agit de l'homme. Ferry avoue son trouble : que reste-t-il de la philosophie devant la génétique? Jean-Didier Vincent fait d'abord remarquer que l'homme est un animal entièrement animal (sursaut douloureux de Ferry), il évacue le vieux débat sur l'inné et l'acquis. Tout est inné, nous sommes tous déterminés génétiquement. Tous. Pas la plus petite marge de liberté? plaide Ferry. Si, concède Vincent, une marge étroite. Le cerveau de l'homme est rempli de cartes qu'il joue ou non. Il avait déjà fallu s'habituer à descendre du singe. Si ce que raconte Jean-Didier Vincent sur le cerveau est avéré, il faudra se faire à quelques idées encore plus dérangeantes. Correspondantes de guerre, ce n'est plus original : les femmes ont envahi ce secteur aussi. Bernard Pivot avait réuni Isabel Ellsen ? qui a photographié le pire («Je voulais voir la guerre») ? et Anne Nivat, qui a passé plusieurs mois en Tchétchénie pour «Libération» («Chienne de guerre»). Elles ont parlé sobrement de leur relation avec la peur, le danger, l'excitation, la mort. Une femme plus âgée, Téreska Torrès, illustrait le courage au féminin du temps où elle rejoignit les Forces françaises libres à Londres. Elle n'a jamais eu peur des bombardements, mais elle a toujours eu peur des garçons. Frédéric Vitoux apparaissait comme un personnage de Patrick Modiano. Son père, journaliste au «Petit Parisien» pendant l'Occupation, condamné à la Libération, a passé quatre années en prison. Tout cela est resté flou et énigmatique pour le jeune garçon qui cherche la vérité. Histoire d'un autre temps, d'une autre guerre, peut-être de toujours. Félicien Marceau (qui s'appelait alors Louis Carette,) journaliste à la radio belge pendant la guerre, a eu aussi de très sérieux ennuis à la Libération. Il a recommencé sa vie en France où il est devenu un écrivain racé, fin, accessoirement académicien. En accumulant à son sujet des témoignages pour sa béatification, on a fait de la mauvaise télévision. Marceau n'a pas besoin de caution. Le public lui a donné de grands succès de librairie et de théâtre («Creezy», «la Bonne Soupe»). Son écriture a la saveur légère du très bon champagne. En fin d'émission, il a eu cette remarque : «On croit que la vieillesse dégrade. Pas un instant je ne crois cela. J'avais à 20 ans une idée petite de l'homme, j'en ai une grande. Ce que l'on perd en route n'est rien à côté de ce que l'on gagne.» Il a 86 ans. Il y avait autre chose à faire avec lui («Un siècle d'écrivains»). F. G.

Jeudi, juin 15, 2000
Le Nouvel Observateur