La femme que j'ai le plus aimée...

Sur les trois âges de la vie d'une femme. Engage les jeunes femmes à s'accepter.
Un homme auquel je demandais quelle était celle qu'il avait aimée entre toutes m'a fait cet aveu : « J'ai aimé trois femmes. La première était une jeune fille adorable. La deuxième, une charmante jeune femme, la troisième, une femme très bien. Je veux parler de ma femme, à trois époques de sa vie ».
Pour vous, j'ai prié cette femme heureuse de me donner son secret.
— « N'attendez pas, m'at-elle dit, une formule magique ou une recette de beauté. Mon secret ? La lucidité. A trente ans, j'ai renoncé à être très jeune. A quarante, j'ai renoncé à être jeune. Ces deux abdications majeures ont entraîné chacune une série d'abdications mineures que je me suis efforcée de compenser en créant à deux reprises une femme nouvelle qui ne soit jamais une caricature de la précédente, mais une autre, différente.
« Une femme peut être et rester séduisante pendant de longues années si elle sait évoluer avec son âge et doubler victorieusement les deux caps difficiles qu'elle rencontrera infailliblement. Vous avez lu Musset ?
— Quel âge avez-vous, Marianne ?
— Voilà une jolie question. Et si j'avais 18 ans que voudriez-vous que j'en pense ?
— Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu.
« Depuis Musset, nous avons gagné du temps. Il n'en reste pas moins que la vie d'une femme se joue en trois actes. Au premier, elle, reçoit, au second elle échange, au troisième elle donne. L'essentiel est de ne pas se laisser surprendre par la fin du premier, avant que de savoir comment on jouera le second.
« Voilà à quels signes précurseurs vous saurez que votre première jeunesse, la glorieuse, l'ardente, l'insolente, est en train de périr :
« Lorsqu'on ne vous appellera plus jamais mademoiselle, lorsqu'à huit heures du matin vous paraîtrez cinq ans de plus qu'à huit heures du soir, lorsque les jeunes filles s'effaceront pour vous laisser passer, lorsque vous plierez les genoux pour ramasser votre mouchoir, que vous rirez en parlant de votre premier amour, que les garçons de 18 ans vous considéreront comme une amie de leur mère, que les cheveux en désordre vous vieilliront au lieu de vous rajeunir, que vous vous intéresserez davantage à la culture d'un homme qu'à ses performances sportives, que vous n'aimerez plus à danser avec n'importe qui, que vous hésiterez à courir pour attrapper un autobus, qu'une nuit de veille et quelques libations vous feront le teint brouillé et la mine fatiguée, lorsqu'enfin vous pourrez dire : Je ne suis plus si jeune que ça... sans qu'on se moque de vous. Attention ! Le rideau se baissera sur le premier acte.
« Ménagez-vous un petit entr'acte pendant lequel vous changerez de coiffure et renoncerez pour toujours à nouer un ruban dans vos cheveux, vous mesurerez sans tricher votre tour de hanches avant, de porter un short ou un pantalon, vous éliminerez de votre langage toute affectation de puérilité, vous vous mettrez sérieusement à la culture physique.
« Lorsque commencera le deuxième acte, vous serez une jeune femme d'un style, différent, mais également séduisant. Vous montrerez moins généreusement vos jambes, mais en revanche, les jeunes filles commenceront à vous envier vos épaules et votre dos.
« Que s'est-il passé ? Vous avez remplacé la spontanéité par la mesure, la fougue par le tact, l'éclat par la grâce, l'excentricité par l'élégance, la candeur par l'assurance et vous savez choisir les vins ! Vous vous maquillez un peu plus en faisant en sorte que cela se voit un peu moins. En vous regardant, on ne dit pas en pensant à celle que vous avez été : Elle a vieilli — Mais : Elle s'est épanouie.
« Près de vous les jeunes filles paraîtront bruyantes, acides, bavardes, et si le matin vous regrettez vos 18 ans, vous vous arrangerez pour ne pas y convier de témoins. Vous ne serez plus celle à qui l'on a la joie de faire découvrir le monde, mais celle avec qui on le partage. À vous de prolonger ce second acte. Discipline physique et discipline morale vous y aideront.
« Commence-t-on à dire de vous : Elle a dû être bien jolie ? Votre couturière vous conseille t-elle toujours le noir ? Vos amis vous disent-ils : Vous rajeunissez tous les jours ? Etes-vous contrariée lorsqu'on vous surprend à votre toilette ? Le soleil est-il devenu votre ennemi intime ? Apprenez-vous le mariage de ceux que vous avez connus enfants ? Etes-vous fascinée par les êtres très jeunes et instantanément vieillie par une contrariété ? Il est temps de songer au troisième acte. À la beauté qui s'efface, substituez le charme, et l'élégance à la ligne qui s'alourdit. A l'aide d'un bon coiffeur et d'une couturière habile, vous paraîtrez l'âge de votre cœur. Impeccable et discrète dans votre apparence, brillante et gaie dans vos propos, vous serez celle qui a beaucoup vu, beaucoup entendu et beaucoup retenu, celle qui fait don des richesses de son âme, celle dont le rayonnement vient de si loin qu'il illumine le visage doucement meurtri et lui donne la splendeur des beaux crépuscules, celle qui comprend, qui pardonne, qui ne demande rien, celle que l'on n'aime plus pour sa cruauté mais pour sa tendresse.
« Vous vous souviendrez alors que la mélancolie ne sied qu'à l'extrême jeunesse et qu'une femme gaie, ne cesse jamais d'être recherchée et entourée. Votre rire sera votre suprême coquetterie. Si l'on vous regarde moins, on vous écoutera davantage et vous vous consolerez de ne plus faite naître le désespoir dans le cœur des hommes en les voyant puiser en vous leur courage. »
Voici ce que m'a dit cette femme aimée entre toutes. Les trois coups sont frappés. Ne ratez pas votre entrée en scène...

Mardi, octobre 29, 2013
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