La dernière interview d'Amir Hoveyda

FG prend la défense de Christine Ockrent, critiqué e pour la façon dont elle mena son interview avec Amir Abbas Hoveyda.
La dernière interview d'Amir Hoveyda

PAR FRANÇOISE GIROUD

L'« honneur » des journalistes, invoqué à grand bruit à propos de l'interview d'Amir Abbas Hoveyda réalisée par Christine Ockrent pour F.R.3, n'est ni plus ni moins précieux que celui des plombiers ou des instituteurs.
L'honorable, c'est de bien faire son métier.
L'information est un métier. Sa fonction a été parfaitement définie par Klauber, à l'intention des journalistes de la plus prestigieuse des chaînes de télévision américaine, la C.B.S. : « Vous devez, dans une démocratie, permettre au public non seulement de savoir mais de comprendre et de former son jugement sur les faits, éclairés et élucidés à la lumière des connaissances que vous avez pu acquérir. »
Formée par la C.B.S. précisément, qui ruina en d'autres temps la sinistre carrière de Joseph McCarthy en une interview, Christine Ockrent exerce son métier avec rigueur, comme on le lui a enseigné.
Ce faisant, elle a été, en France, critiquée. Que certains s'y soient acharnés en termes injurieux n'est pas ce qui nous intéresse ici. A eux de se demander si la presse de M. Hersant est la mieux faite pour s'émouvoir d'atteintes à la dignité humaine.
Qu'est-ce donc qui a choqué, et en tout cas gêné certains spectateurs dans son interview ? Cela mérite d'être examiné.
Publiée dans un journal, elle n'eût suscité aucune polémique. Mais voir, ce n'est pas lire. Montrer, ce n'est pas écrire. C'est mobiliser des émotions, provoquer des décharges glandulaires. Quand on montre, on ne sollicite pas la raison mais son contraire. La télévision n'est en aucune manière le prolongement des moyens habituels d'information. Qu'on l'utilise pour le meilleur ou pour le pire, elle est pur théâtre. Ainsi, selon qu'un interrogé est placé plus haut ou plus bas que ses interlocuteurs, l'effet produit est différent. Plus bas, il attire — quoi qu'il dise - la sympathie. Parce qu'il est en posture de victime, attaqué par plus grands que lui. Plus haut, il attire l'antipathie, parce qu'il est dans la posture de celui qui, précisément, « regarde de haut ». Qui méprise.
C'est là une règle absolue.
Amir Abbas Hoveyda, cravaté et parlant de haut à un interrogateur présent sur l'écran, eût inspiré d'autres sentiments que l'homme couché et déchu physiquement, sur qui tombait des questions prononcées d'une voix désincarnée.
Ces questions étaient-elles inconvenantes, dans une telle situation ? On n'interroge pas le Premier ministre du chah comme s'il s'agissait d'un étourdi accusé d'avoir volé une bicyclette. Ou alors, oui, on se déshonore. Ce n'était pas un représentant de la Croix-Rouge qui avait obtenu d'entrer dans cette cellule.
Fallait-il y entrer ? C'est le seul point sur lequel on peut hésiter. Faut-il accepter de s'entretenir avec un prisonnier devant un procureur ? Certains journalistes, et non des moindres, disent non.
Ma réponse est : oui, s'il a gardé sa maîtrise intellectuelle et qu'on lui donne ainsi l'occasion unique de plaider son dossier, de saisir l'opinion et aussi — c'est capital — d'apprendre qu'il n'est pas entièrement abandonné.
Ce débat sur le corps d'un supplicié serait odieux si, de l'immense prison qu'est la plus large partie du monde, la plainte de tant de détenus politiques n'était, jour après jour, renouvelée. Ne craignons pas pour l'« honneur » de la presse française ceux qui les interrogent. Mais ceux qui les oublient.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur