«La culture domine tout», disait de Gaulle à Malraux. Tout, mais pas l'Audimat!
Le Sénégal? L'équipe sera peut-être moins coriace que celle de l'Angleterre ou du Portugal sur laquelle nous risquions de tomber au tirage au sort, mais peut-être pas. Vous imaginez cela? La France perdant le match d'ouverture de la Coupe du Monde, le 31 mai, face au Sénégal? Horresco referens! C'était la rengaine des JT du week-end, avec la superbe victoire de Nicolas Escudé, le tourisme présidentiel au Maghreb et les évolutions du «Charles-de-Gaulle», bientôt balayés par la tragédie de Jérusalem? Le terrorisme n'est pas seulement répugnant, il est idiot. Il fait des morts encore et encore, jamais des vainqueurs, voir l'ETA, voir l'Irlande. En assassinant, il provoque inéluctablement des représailles, enferme les protagonistes dans un enfer sans issue, chacun campé sur son statut de victime, et les victimes, ça ne pactise pas. C'est horrible à dire, mais on ne voit pas par où et par qui la paix peut renaître au Moyen-Orient si cruellement blessé. Revenons à notre porte-avions. Cette fois, on nous l'annonce, il a appareillé et se dirige vers les côtes du Pakistan où il aura la tâche de barrer la route de la fuite par la mer à Ben Laden. Ce sera dans quinze jours. Chanceux comme il est, ce bateau, vous verrez que Ben Laden aura filé la veille. Ah! misère, mieux vaut penser à autre chose. Une enquête a révélé récemment le marasme de toutes les «petites» chaînes, y compris les meilleures, LCI, Planète, Canal Jimmy, Histoire, etc. Il n'y a quasiment personne pour les regarder, moins d'un point d'audience. Le point égale 400000 spectateurs. Au cinéma, certains films n'en trouvent pas autant dans toute leur carrière. A la télévision, cela s'appelle personne, même pour regarder le document magistral sur les Kennedy diffusé samedi sur Planète. Une seconde enquête, révélée par «Libération», porte sur le public des «grandes» chaînes. Elle a été réalisée à partir d'un nouveau logiciel, Peaktime, capable de capter tous les mouvements de l'audience sur cinq chaînes simultanément, TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6. Quelques chiffres pour saisir un soir ordinaire. Ici c'était le lundi 19 novembre. A 19 heures, il y a 17,2 millions de spectateurs. 4 millions sont accrochés au «Bigdil». A 20 heures, il y a 24 millions de spectateurs pour les JT de la Une (17 millions) et de la Deux (7 millions). Après la météo, 26,5 millions, soit près de la moitié de la population, ont entamé ce qui fera leur soirée en se partageant inégalement entre les chaînes. La Une fait le plus souvent la course en tête, mais là, même avec «Titanic» (plus de 7 millions), elle a à peine gratté «Loulou la Brocante» sur FR3! Entre la fin du journal et le début des programmes, zapping frénétique pour esquiver la publicité, on va un peu partout, sur le «19/20», sur «les Guignols», un quart d'heure de remue-ménage, puis on se range. A 23h30, il ne reste plus personne en termes de cibles publicitaires. «Seulement» 7,9 millions de spectateurs hétéroclites, non identifiés, plus de noctambules que de ménagères. Les programmes se font plus pointus. Par exemple, c'est après 23 heures que Bernard Pivot a commencé à célébrer le centenaire de Malraux le magnétique, à Bourges. C'était épatant, amusant, émouvant de voir de Gaulle dire à son ministre : «La culture domine tout.» Tout, mais pas l'Audimat, pas question d'honorer Malraux à une heure de grande écoute. C'est que les masses concernées sont énormes, aucun spectacle, aucune manifestation n'en remue de telles. Insatisfaites de ce qu'on leur propose, elles iraient voir ailleurs puisque ailleurs il y a. Mais elles n'y vont pas ou en nombre infime. Dès lors, il faut en conclure que les patrons de chaîne donnent à l'écrasante majorité des Français ce qu'ils veulent, s'inquiètent de leurs goûts, s'y adaptent dès qu'ils les ont détectés, rivalisent pour les deviner et n'y parviennent pas mal au vu des audiences qu'ils fédèrent. Alors que leur reprocher? De manquer d'ambition? La télévision n'est pas le reflet de ceux qui la font mais de ceux qui la regardent, c'est le miroir du public saisi collectivement. Un produit totalement démocratique. On sait que la démocratie a bien des vertus mais jamais celle de générer la qualité. F. G.
Jeudi, décembre 6, 2001
Le Nouvel Observateur