La cuirasse des grandes-duchesses

C'est long à massacrer, deux jeunes filles, quand leurs corps sont couverts de bijoux...
Egrené le long des routes pour voir passer le peloton, le public du Tour de France est triste, vindicatif, hargneux. On lui a volé Virenque, lequel en pleurait à chaudes larmes. Deuxième en 1997, derrière le jeune prodige allemand Ullrich, mais premier dans le cœur des amateurs, qui continuent à parler de lui en disant :«Il a gagné le Tour l'année dernière, il comptait s'imposer, et puis crac? cette sale histoire?» Saisie massive de dopants, zèle de la police stimulé par la ministre des Sports, Marie-George Buffet, la plus populaire des compétitions a été poignardée. Ce n'est plus la Grande Boucle, c'est la Grande Triche. Les coupables, affidés de Festina, ont avoué. Il fallait que le scandale éclate un jour. Le monde du cyclisme est, de notoriété publique, gangrené par le dopage. Qu'est-ce que Festina? Un reportage de «Capital», rediffusé pour la circonstance, montrait son écurie l'an dernier au sommet de la jubilation. C'est une marque de montres espagnoles dont le Tour est une vitrine publicitaire. Elle y consacre 25millions par an. Virenque est payé 500000 francs par mois plus les primes. A ce prix-là, on a intérêt à gagner! Out, Festina. Et les autres équipes? Combien de coureurs ont-ils été invités à se doper pour tenter d'arracher des victoires fallacieuses? C'est l'omerta. Sur les routes, Jan Ullrich, athlète superbe qui court pour Telekom, pédale, impavide. Le public, dépité, ne l'applaudit pas. La tragédie des Romanov, on la connaît, rabâchée. Mais un documentaire de Tania Rakhmanova, remarquable, a su la mettre en images, et quelles images! A profusion. A croire qu'en Russie il y avait toujours un opérateur sur place pour filmer. Une scène parmi d'autres est extraordinaire. NicolasII, empereur mou et timide, qui notait : «Mon Dieu, j'ai reçu les ministres, comme c'était ennuyeux», est débordé par les événements, la guerre que ses généraux sont en train de perdre. Sa femme, Alexandra, que l'on appelle «l'espionne» parce qu'elle est allemande, le conjure : «Sois comme Ivan le Terrible, sois comme Pierre le Grand, oblige-les à obéir.» Mais il choisit d'abdiquer. Commencent des pérégrinations dans le pays en convulsions. La révolution s'étend. NicolasII se retrouve avec sa famille en Sibérie, entre les mains du soviet de l'Oural. Lénine a parlé d'exécution. Le soviet de l'Oural décide d'y procéder sans plus attendre. Par l'embrasure d'une porte, on voit NicolasII et les siens dans une petite pièce, quelques hommes armés s'approchent. On a le souffle coupé. Soudain le dernier des hommes entrés se retourne, aperçoit ce qui doit être une caméra, et claque la porte. Le massacre sera sans témoin. C'est une image saisissante. Les grandes-duchesses, deux jeunes filles, ont été longues à abattre, nous dit-on, parce que sous leur robe elles étaient cuirassées de bijoux. Viennent les tribulations des dépouilles, jetées dans un puits, récupérées, enfouies à même la terre. Cinquante ans plus tard, des enquêteurs les retrouvent. Identification aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Les crânes sont savamment reconstitués. En 1997, Boris Elstine fait raser la maison du massacre. Ce qui reste des Romanov a été inhumé à Saint-Pétersbourg, près des tombeaux de leurs ancêtres. Horrible histoire? Assurément. Nous avons fait les choses plus proprement avec LouisXVI (FR3). Moins bon, un autre documentaire historique sur dix ans de maoïsme. D'abord, Mao fait liquider les propriétaires, puis les «droitiers»? pour les délateurs, c'est commode, des boîtes aux lettres sont disposées à cet effet?, puis les intellectuels, puis? Le peuple est ravi. Il ne cessera d'ailleurs de suivre les mots d'ordre successifs de Mao avec enthousiasme. Un Chinois qui a survécu dit : «Les pauvres étaient les maîtres, et ça leur plaisait beaucoup.» Mais la collectivisation des terres ne produit pas de blé, les formules lyriques ne produisent pas d'acier. La famine rôde. Elle anéantira 600millions de Chinois. Pourtant, «il y a sûrement un moyen, disait Mao,d'augmenter la production industrielle et agricole». Ses successeurs l'ont trouvé. Cela s'appelle le capitalisme. Mais cela ne rend pas les pauvres heureux (Arte) F. G.

Jeudi, juillet 23, 1998
Le Nouvel Observateur