Portrait de Brigitte Bardot lors de son passage à une émission télévisée.
On l'appelait B.B. Elle avait la plus glorieuse chute de reins du cinéma mondial, l'exhibait volontiers, ravissant spectacle qui mettait les collégiens en transes, et pas eux seulement.
De temps à autre, elle se mariait, mais flottait autour d'elle le parfum capiteux du péché, la fragrance de la chair heureuse.
Jouer la comédie, ce n'était pas son truc, bien qu'elle s'y soit consciencieusement appliquée. Mais les bonnes comédiennes, il y en avait d'autres. Tandis qu'il n'y avait qu'une Bardot.
Ce n'était pas Marilyn Monroe, délectable mais névrosée, pathétique, paumée. C'était une petite ménagère française élevée bourgeoisement, la tête bien vissée sur les épaules, un bon sens de béton armé, douée d'un pouvoir d'enchantement : telle Circé, elle transformait les hommes en pourceaux. Et du même coup, c'est un fait, bon nombre de femmes en vaches.
L'animosité n'a pas cessé de lui faire cortège, le long de son chemin de gloire. Idolâtrée, il lui manquait pour être bien-aimée quelque malheur propre à la rendre tolérable : un père ivrogne, une enfance misérable, une stérilité insurmontable, un amour fauché par la mort; bref, de quoi se faire pardonner la volupté d'être qu'elle irradiait.
Mais rien ne clochait chez cette insolente enfant. Elle rayonnait. Quand donc tout cela se passait-il ? Il y a cent ans, semble-t-il. Aujourd'hui où Antonioni lui-même, qu'on ne saurait suspecter de mercantilisme, s'éternise, dans son dernier film, sur un couple qui copule sans joie, les déhanchements de Bardot semblent relever du calendrier des Postes. Pourquoi ces confidences télévisées en trois volets ? Elle n'a pas besoin d'argent, et la publicité, elle en a eu plus que son compte. Sans doute s'agit-il d'un service rendu plus que d'une opération personnelle. Elle est
gentille, Bardot, bien que l'espèce humaine lui soit, en gros, plus indifférente que l'espèce animale. D'entrée, elle affiche son âge, avec cette belle simplicité qui l'a toujours faite succulente. Quarante-huit ans : elle n'est pas vieille, donc, mais elle n'est plus jeune.
Pour se présenter chez nous en ces semaines dites de fête, une autre aurait pensé... que sais-je... à se laver les cheveux, à se fringuer un peu — encore que bien des minettes de dix-huit ans voudraient porter le jean comme elle. Mais elle s'en fout, c'est clair. Si bien qu'à réapparaître ainsi, tranquille, libre du regard que l'on pose sur elle, bien dans sa peau, il se peut qu'elle réactive d'obscures hostilités.
La revoir à seize ans, beau petit animal joyeux, soyeux et sain, aux pieds ailés de danseuse, c'est pur plaisir. L'écouter... Au vu de la première des trois émissions à elle consacrées, elle ne nous réserve pas de foudroyantes révélations. Menues anecdotes, petits incidents... Des choses à dire, elle n'en a pas des tonnes. Mais quelques grammes suffisent quand ils sont épicés.
Et lorsqu'on l'interroge, pftt... le coup part vite.
Pourquoi tant d'aventures ? « Je ne suis pas toujours tombée sur des gens extraordinaires... Et quand ils l'étaient, c'est moi qui n'étais pas extraordinaire...» Se trouve-t-elle intelligente ? « Je ne me trouve pas trop con. » Qu'est-ce qui lui permet de dire ça ? « Peut-être par comparaison...»
Dans le désert des programmes de fin d'année où l'on se demande ce qui resterait de la télévision française si elle cessait de s'alimenter en films américains (dix-sept en deux semaines, et des meilleurs), Brigitte Bardot mérite le détour. Monument historique, visite commentée gratuite, le dimanche, sur Antenne 2.
Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur
Cinéma